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Les naturalistes qui ont cru aux migrations des harengs ont été bien moins succincts que nous dans la description de ces voyages. Ils ont raconté dans leurs ouvrages et tracé sur leurs cartes jusqu’aux évolutions des moindres escouades de ces grands corps d’armée. Ils ont fait ressortir tout ce qu’offrait de curieux l’analogie de ces mœurs voyageuses avec les habitudes bien connues de certains oiseaux. Malheureusement il n’y a là qu’un roman. Déjà Bloch et Noël de La Morinière avaient vivement attaqué le système migratorial et opposé à ses partisans de pressantes objections. Jamais on n’a vu les bancs de harengs regagner leur prétendue patrie. Comment croire d’ailleurs qu’ils soient chassés par la faim de leur première demeure toujours à la même époque et précisément au moment de l’année où les mers boréales se peuplent de myriades d’êtres microscopiques propres à leur servir de nourriture ? Comment admettre que, poursuivis par les grands cétacés, ils ne s’arrêtent qu’à plusieurs centaines de milles des parages fréquentés par ces ennemis ? Comment expliquer surtout que la crainte ou le défaut d’alimens n’agisse que sur les harengs adultes et qu’on ne rencontre jamais de petits dans leurs innombrables phalanges ? Telles sont les principales objections des auteurs que nous venons de citer. M. Valenciennes, de son côté, n’a pas hésité à se prononcer sur ce point de la manière la plus formelle, et les argumens tout nouveaux qu’il a fait valoir ne peuvent laisser prise au moindre doute. C’est ainsi qu’adoptant, après un nouvel examen, la détermination de Lesueur, il a reconnu que le hareng d’Amérique était une espèce distincte et non pas une simple variété du hareng européen. Les harengs des deux continens n’ont donc pas une origine commune. L’existence dans nos mers de races spéciales, pêchées tous les ans dans les mêmes localités, ne s’expliquerait guère dans l’hypothèse combattue par notre auteur, car comment admettre cette espèce de triage si régulièrement fait tous les ans ? Enfin, si l’on entre dans les détails de la pêche, on voit que les harengs se montrent souvent dans les contrées méridionales avant d’avoir paru sur les côtes du Nord, et ce fait est à lui seul parfaitement inconciliable avec toute idée de migration.

Si l’on veut chercher une analogie entre ces habitans de la mer et les oiseaux, ce n’est pas aux grues, aux oies, aux hirondelles qu’il faut les comparer, mais bien à ces oiseaux erratiques qui, comme la plupart des passereaux, s’élèvent pendant l’été sur nos montagnes boisées, et pendant l’hiver regagnent les plaines ou les gorges abritées. La mer a aussi ses vallées profondes, ou les variations de la température sont à peine sensibles, dont les plus violentes tempêtes ne peuvent troubler la tranquillité. C’est dans ces abris à peu près inaccessibles que bon nombre de poissons, et les harengs entre autres, se retirent à des momens donnés. C’est de là qu’ils sortent quand l’instinct de la reproduction