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naïve me plongea dans une mélancolie profonde, et je me surpris, sous le ciel bleu du tropique, au milieu des pompes d’un printemps éternel à regretter les brouillards de France et les soupirs du vent d’automne à travers nos bois dépouillés. Je ne m’attendais pas alors qu’un jour viendrait ou, au milieu de ces brouillards de la patrie, je regretterais ma vie inquiète de voyageur et ces vastes horizons du Mexique, dont j’avais tant de fois maudit l’inaltérable azur. C’est pourtant un sentiment semblable que m’a fait éprouver la lecture des récits de M. Coulter. Il me semblait retrouver mes propres traces en suivant le voyageur anglais, tantôt sur les grèves de l’Océan Pacifique, tantôt au milieu des savanes et dans l’inextricable labyrinthe des forêts vierges. Après tout, désirer et regretter sans cesse, n’est-ce pas un peu l’histoire de tous les voyages ? Seulement il n’est pas donné à tous les conteurs d’excursions lointaines de porter dans leurs récits cet accent de franchise et ces vives couleurs qui font revivre la réalité aux yeux de quiconque l’a entrevue une fois. Ce reflet de la nature tropicale que j’ai trouvé dans le livre de M. Coulter, bien peu de voyageurs ont su le faire passer dans leurs écrits. En faveur de cette abondance de couleur locale, on peut bien pardonner à l’écrivain anglais quelques longueurs et quelques puérilités. De tels livres, malgré leurs défauts, gagneraient à être connus en France. À l’heure où les mœurs publiques semblent se détendre, où la nation a un si pressant besoin de retremper son énergie morale, ces luttes viriles avec une nature vierge n’offrent pas des exemples sans grandeur ni sans utilité. Dernièrement on appréciait ici même les vigoureuses productions du romancier américain Sealsfield. L’Angleterre est riche en récits de voyages et d’aventures où l’on retrouve un peu de l’intérêt puissant et des mâles qualités qu’un critique éclairé signalait à bon droit dans les œuvres du conteur américain. Ces récits sont pour beaucoup dans cette humeur aventureuse, dans cette heureuse et brillante audace, qui caractérisent encore aujourd’hui la race anglaise. Pourquoi la France ne prendrait-elle pas aussi intérêt à ces souvenirs, à ces tableaux des terres lointaines ? Pourquoi, sous l’impression de quelque œuvre émouvante, ne sentirait-elle pas s’éveiller, en elle ce goût des voyages, cet instinct de colonisation si communs chez nos voisins ? À coup sûr, l’expérience vaudrait la peine d’être tentée, et on aurait quelque raison d’en espérer le succès, si l’attention publique se portait un peu plus sur les travaux des voyageurs anglais.


GABRIEL FERRY.