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d’obstacles. De nombreux éclaireurs, postés en vedettes, rejoignent le gros des combattans en annonçant que l’ennemi a traversé la rivière. La marche est si rapide, que, dans le silence des solitudes, la respiration haletante des guerriers est le seul bruit qui se fasse entendre. Quand on arrive à la limite extérieure de la forêt, le soleil entre déjà son disque enflammé au-dessus des montagnes de l’est. L’ennemi s’avance en-deçà de la rivière et en nombre supérieur. Les deux tribus ennemies ne tardent pas à faire halte en face l’une de l’autre, à quatre cents pas de distance environ. Un chef des Papuas sort de la ligne de bataille, et vient, à la façon des héros de l’antiquité, défier les flèches de ses adversaires. C’est un de ces géans qui rappellent le Goliath de l’Écriture ou les Gaulois nos ancêtres ; sa barbe et sa chevelure sont poudrées de craie, sa figure et son corps enduits d’une peinture blanche. Au dire de Connel, ce guerrier, dont la présence inspire la terreur, est un des plus féroces cannibales de la tribu des Papuas. La mort de ce chef serait presque bataille gagnée, et l’Irlandais prie le meilleur tireur de ses compatriotes de l’ajuster. Le capitaine désigne le docteur ; mais celui-ci refuse en alléguant je ne sais quels scrupules. Un des matelots du Hound, moins prudent, fait feu, et à peine le vent a-t-il emporté la fumée de la carabine, qu’on peut voir le Goliath papua lever les bras en l’air et tomber comme une statue colossale arrachée de sa base. « Grace à Dieu, s’écrie Connel, le démon a cessé de vivre ! » Mais déjà l’armée ennemie s’ébranle pour venger son chef, et Connel s’élance de son côté pour repousser le choc des Papuas. Une de ses mains brandit une courte hache, l’autre est armée d’un long et fort épieu. « Hourra pour les Horaforas et la vieille Irlande ! » s’écrie Connel, et ce double cri de guerre, souvenir du passé et orgueil du présent, est le signal de l’attaque.

Le combat de deux tribus sauvages est, pour M. Coulter, un spectacle dont il regrette de ne pouvoir observer plus à l’aise les détails étranges. Malheureusement, notre pauvre docteur est lui-même engagé dans la mêlée. Qu’on se figure un nuage de poussière au milieu duquel se débattent des corps hideusement tatoués, d’horribles cannibales brandissant des kriss ou des haches dans leurs mains ensanglantées. Des hurlemens, des cris, des soupirs, le bruit sourd des crânes brisés sous les casse-têtes, forment à cette scène émouvante un accompagnement dont l’harmonie sauvage ne laisse rien à désirer. Parfois le nuage de poussière, en se divisant, laisse voir le sol déjà jonché de morts. Enfin, les guerriers peints en blanc commencent à fuir par groupes isolés, puis par bandes compactes, et bientôt un cri de victoire signale le succès des guerriers de Connel. Dès-lors commence un carnage en règle. Les Horaforas parcourent le champ de taille en achevant ceux à qui le casse-tête, le poignard ou les flèches