Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la mer de rouges et sinistres lueurs. Près du mouillage, on aperçoit l’embouchure d’une vaste rivière, dont les bords disparaissent sous une végétation luxuriante. Le long de la côte, une ligne de brisans se développe au milieu des gerbes d’écume que le ressac fait éternellement jaillir. Cette terre semble déserte comme au lendemain de la création. Le capitaine, le docteur et quatre hommes s’arment jusqu’aux dents et se décident à explorer l’île. Ils se dirigent d’abord vers une chaîne de collines à quelques milles de la rivière. La présence de l’homme ne se laisse deviner nulle part. Des faisceaux de serpens, des troupes de rats énormes que l’apparition des visiteurs ne dérange pas, des chats sauvages qui les observent du haut des arbres avec des yeux ardens, des lianes monstrueuses qui se jouent sous un rayon de soleil, des canards au plumage noir qui s’ébattent sur les flaques d’eau, des faucons bruns, des perruches aux mille couleurs, des vols d’oiseaux de paradis se détachant comme des paillettes d’or sur l’azur du ciel, tels sont les seuls accidens d’un splendide et calme paysage. Bientôt des terrains bouleversés, des rocs éboulés, des courans de lave refroidie succèdent aux détritus végétaux qui, dans le voisinage de la côte, encombrent les bords de la rivière. On s’arrête dans ces solitudes désolées : le soleil se couche, et une halte nocturne commence aux cris lugubres des oiseaux de nuit, sous le vent de l’aile des chauves-souris qui se croisent dans leur vol oblique et lourd avec des nuées de maringouins. Au point du jour, la petite colonne reprend sa marche, mais avec plus de précautions que la veille, car des empreintes nombreuses de pas lui prouvent que l’île est habitée. Peu après cette découverte, en effet, au moment où le capitaine et ses compagnons font honneur à un sauvage repas composé d’un sanglier rôti sur un lit de bananes, un convive inattendu vient s’asseoir à côté d’eux. C’est un homme d’une taille gigantesque, ceint d’un pagne pour tout vêtement, suivi de deux dogues formidables et armé d’une pique. Cet homme, chose étrange, a la peau blanche, et, malgré son bizarre costume, malgré la chevelure longue et hérissée qui flotte sur ses épaules, on reconnaît dans ses traits le type européen Le premier mouvement du capitaine et de ses compagnons est de porter la main sur leurs armes ; mais quelques mots prononcés par l’inconnu en mauvais anglais les arrêtent. « Je suis Irlandais de naissance, s’écrie cet homme, et le sort m’a fait roi d’une des principales tribus de la peuplade des Horaforas. Rendez grace à Dieu de m’avoir rencontré : mes guerriers sont près d’ici, et un mille plus loin vous auriez été criblés de leurs flèches ; mais vous êtes maintenant placés sous ma garde, et mes sujets vous respecteront comme des amis de leur roi. Souffrez seulement que je goûte une de ces grillades, puis vous vous remettrez en route, et je vous dirai mon histoire. » Cela disant, le roi des Horaforas se sert un énorme morceau de sanglier