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les caractères imprimés sur ces terribles harengs étaient les lettres initiales de plusieurs mots. Un autre érudit lut dans cette inscription une prophétie annonçant la subversion, totale de l’Europe. Ces rêveries se reproduisirent dans le XVIIe siècle. En 1622, Églin, professeur de théologie à Zurich, publia une interprétation de l’Apocalypse basée sur la lecture de caractères que présentait un autre hareng pêché le 21 mai 1596 sur les côtes de Poméranie, et qui ressemblait aux fameux harengs de Copenhague. Est-il nécessaire d’ajouter que ces prétendus caractères n’étaient autre chose que des traits formés par l’entre-croisement de quelques vaisseaux ou par une succession fortuite de points colorés ?

Nous voudrions pouvoir dire que les savans modernes, en échappant aux grossières superstitions de leurs devanciers, sont toujours restés dans le vrai en ce qui touche les harengs. Il n’en est malheureusement pas ainsi. Quelques-uns des plus justement illustres ont apporté leur contingent d’erreurs à cette histoire, car il faut bien aujourd’hui reléguer parmi les fables scientifiques ce que Cuvier lui-même nous a dit des voyages prodigieux accomplis par ces poissons[1]. À en croire ces récits, primitivement empruntés aux dires des pêcheurs, les harengs sont originaires des régions glaciales et ne sont pour nos mers que des poissons de passage. Tous les ans, le défaut d’alimens ou la nécessité de frayer sous un ciel plus doux amène une émigration formidable. De dessous les glaces du pôle s’échappe une population innombrable, qui ne tarde pas à se partager en deux puissantes armées. L’une se jette à l’ouest et va peupler momentanément toutes les côtes de l’Amérique septentrionale ; l’autre, dirigeant sa marche vers le sud, vient enrichir l’Europe de ses dépouilles. Celle-ci arrive aux atterrages d’Islande vers l’équinoxe du printemps. Là elle est abandonnée par des troupes nombreuses qui vont longer le Groenland ; mais la masse franchit l’Islande après avoir peuplé les baies de cette île, et, arrivée aux îles Shetland, elle se partage en trois grandes colonnes. Ce qu’on appelle l’aile gauche range la côte de Norvége depuis le cap Nord en Laponie, peuple de ses subdivisions la Baltique et les mers d’Allemagne, et ses derniers détachemens viennent se perdre dans le Zuyderzée. L’aile droite se dirige vers les Hébrides et le nord de l’Irlande. L’armée du centre, composée des plus nombreux bataillons, envoie un puissant détachement visiter les Orcades et l’Écosse, tandis que le corps principal longe la côte des Îles Britanniques, vient envahir la Manche, dont il peuple à la fois les deux rives, rallie les restes épars des divisions qui ont redescendu les rivages du continent, et, disparaît en masse à l’extrémité occidentale du détroit.

  1. Règne animal, 2e édition, 1829.