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Ceux qui ont vu de près les missions du Mexique peuvent témoigner de ce qu’il y a de bienfaisant et de fécond dans cette application si remarquable du gouvernement théocratique en plein XIXe siècle. Nous gouvernement, car, aux yeux des Indiens, les missionnaires sont investis d’une autorité vraiment dictatoriale. L’Indien des missions a dépouillé tout l’orgueil, toute la rudesse de sa race ; il n’a gardé de l’ancienne civilisation mexicaine que les dehors pittoresques, les riches costumes, les traditions naïves. Rien n’égale la docilité, le calme de cette population de travailleurs et de néophytes. Le farouche enfant des prairies n’est plus, après quelques semaines passées dans l’enceinte des missions, qu’un écolier qui attend pour prier, travailler où se divertir, le signal donné par son maître. Le maître même, il faut bien le dire, abuse parfois de son autorité, et c’est un fouet à la main qu’il mène ses élèves à l’église ou aux champs. Le dimanche, avant l’heure de l’office divin, c’est un bizarre spectacle que celui de cette troupe d’Indiens que chasse devant lui vers la chapelle un des pères monté sur sa mule et agitant son fouet, qui atteint souvent, aux grands éclats de rire des assistans, les jambes on les épaules, des retardataires. Après l’office du dimanche, les missions sont le théâtre de scènes plus curieuses encore. Ce jour-là, la vie sauvage reprend en quelque sorte son empire, et les Indiens se livrent en pleine liberté à leurs divertissemens traditionnels. Des courses de chevaux, des combats de taureaux, des danses guerrières, se succèdent au milieu de cris assourdissans. Les Indiens revêtent pour ces occasions leurs costumes les plus riches. Des lanières de cuir ornées de plumes éclatantes retiennent leurs longues chevelures ; un diadème d’argent brille sur leur front. Des braies de peau de daim s’enroulent autour de leurs jambes, et un manteau de drap bariolé flotte sur leurs épaules. C’est à cheval surtout qu’il faut les voir, assis entre leur carabine et leur lance de guerre, et brandissant le tomahawk ou le couteau avec une joie sauvage. On ne reconnaît plus dans ces fiers combattans les timides néophytes qui, le matin encore, tremblaient devant la parole ou le geste d’un faible vieillard. Le lendemain, cependant, tout rentre dans l’ordre, et les sévères devoirs du travailleur civilisé remplacent pour toute la semaine les fêtes de la vie primitive. Cette discipline, qui entretient les Indiens dans un état d’enfance, ne saurait être sans doute proposée comme un idéal parfait à ceux qui rêvent l’abolition complète des derniers vestiges de la barbarie dans le Nouveau-Monde ; il faut la considérer comme un acheminement, comme une préparation à un état meilleur où la liberté humaine serait moins opprimée sans toutefois que les vrais intérêts de la civilisation chrétienne fussent méconnus. Après tout, même dans son imperfection, l’œuvre des jésuites a laissé des résultats que ni l’Europe ni le Mexique surtout