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et demandaient de nouveau aux terrains qu’ils ensemençaient eux-mêmes, aux eaux des lacs, aux arbres des bois, leur nourriture de chaque jour. Les Indiens en vinrent à respecter ces hommes, dont ils admiraient le dévouement et le courage. Moins inquiétés par ces tribus sauvages, les missionnaires furent attaqués, en revanche, par des bandes d’aventuriers européens. Des matelots déserteurs, des soldats licenciés réduits à vivre de pillage, dirigèrent souvent leurs expéditions vers les habitations des jésuites. Périls toujours renaissans, luttes continuelles, travaux pénibles et quotidiens, telles étaient les dures épreuves que les premiers missionnaires supportèrent avec une résignation et un courage infatigables.

Si les missions ne grandissaient pas rapidement au milieu d’obstacles à multipliés, du moins elles se maintenaient, et c’était beaucoup. On avait fini par défricher une grande étendue de pays, et il ne restait qu’à attirer des néophytes. Après de longues délibérations, les jésuites s’arrêtèrent à un plan de campagne assez habile. Il s’agissait de surprendre quelques Indiens sauvages, de les amener par force aux missions, et de les relâcher ensuite après les avoir bien traités pendant leur captivité momentanée. Toutefois, dans cette chasse d’un nouveau genre, un appât était indispensable, et trente ou quarante Indiens convertis furent transportés des missions déjà florissantes du sud dans les missions du nord de la Californie ; on ne tarda pas à faire de nombreux prisonniers, qu’on mit en rapport avec les Indiens baptisés. Les captifs entonnaient d’abord leur chant de mort, pensant que les missionnaires allaient se venger de leurs anciennes déprédations par des représailles sanglantes ; mais, à leur grande surprise, ils étaient au contraire l’objet d’une attention bienveillante et paternelle. Leurs liens étaient coupés, des paroles de paix et une nourriture abondante remplaçaient le bûcher ou la potence. Enfin, des frères de même race leur parlaient avec enthousiasme du christianisme et de ses apôtres. Après quelques jours passés au milieu d’un comfort qu’ils n’avaient pas soupçonné, ils étaient libres de quitter la mission ; les pères leur en ouvraient les portes et les renvoyaient avec un présent d’amitié. Parmi les Indiens ainsi congédiés, les uns retournaient avec joie aux misères de leur vie errante, rachetées par tant d’enivrans hasards ; mais d’autres ne pouvaient oublier les douceurs de leur captivité, et, après quelques jours passés sous la tente, ils venaient librement, cette fois, redemander l’hospitalité aux pères. L’enceinte des missions devint bientôt trop étroite, et c’est ainsi qu’elles s’élevèrent rapidement au degré de prospérité où nous les voyons aujourd’hui.

Si l’honneur de cette prospérité revient en grande partie aux jésuites, il serait injuste cependant de ne pas reconnaître et signaler avec éloges les heureux efforts qui, aujourd’hui encore, en assurent le maintien.