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ne se rappelle un son semblable, et cependant leur oreille est familiarisée avec toutes les voix de l’océan. Celle de l’homme seul peut produire ces sons indéfinissables. La lune vient de se coucher, et l’on ne distingue rien au large. Seraient-ce les soupirs du vaisseau fantôme, Flying Dutchman[1] ? Le cas paraît assez grave pour qu’on mette un canot à la mer ; dans cette course entreprise au hasard, les falots dont on s’est muni projettent vainement leur lumière incertaine sur l’immensité tout à coup assombrie. On n’aperçoit en dehors du cercle lumineux que les flots noirs, et, sous ces flots, les dorades qui fuient enveloppées dans un éclair phosphorescent. Enfin, un soupir se fait entendre, faible d’abord comme celui du satanite[2] endormi dans le creux d’une vague, puis on distingue un cri encore affaibli par la distance : c’est celui d’une créature humaine en danger de mort. Le mot pihii (navire, en langue tahitienne), plusieurs fois répété d’une voix éteinte, ne laisse plus de doute à l’équipage du canot, qui finit par trouver dans une pirogue brisée un Indien des îles Marquises et son enfant. Ces malheureux sont sortis de l’île de Fetuiva avec cinq ou six autres pirogues. Une troupe de baleineaux a dans sa course fait chavirer, sans s’en apercevoir, la flottille indienne tout entière, et les débris de cette expédition flottent au hasard sur leur embarcation, brisée depuis quatre jours, quand un miracle a fait parvenir jusqu’au Stratford les derniers soupirs de leur agonie. L’Indien et son fils sont ramenés à bord, puis débarqués dans leur île natale, car le navire baleinier cherche un mouillage pour réparer ses barils, qui laissent fuir l’huile dont la conquête a coûté tant de travaux et de dangers.

Bientôt les barriques sont réparées, et le docteur dit adieu en soupirant à l’île de Noël, pour reprendre cette éternelle poursuite de la baleine à travers la pleine mer, les écueils et les brisans. Des jours, des semaines se passent, et de l’île de Noël, nous voici transportés dans le golfe de Guayaquil. M. Coulter va se trouver dans le centre qu’il affectionne ; il est à terre, il va laisser de côté son vocabulaire maritime, dont je ne suis pas dupe. Il affecte en vain les allures d’un marin, tout trahit en lui son faible pour la terre ferme, et si dans ses excursions de chasse nous le voyons encore naviguant sur les lacs et sur les rivières, c’est pour mettre entre la mer et lui une plus longue distance. Il n’a été jusqu’ici que témoin des luttes contre la baleine, il n’a fait que voir, sans danger personnel, les requins de l’Océan Pacifique, et maintenant ce sera pour son propre compte qu’il va entendre hurler les bêtes fauves des forêts vierges.

Arrivé en vue du cap Blanco, qu’en un certain espagnol à son usage le docteur appelle le cap Blancho, le point le plus nord du Pérou et le

  1. Le Voltigeur hollandais.
  2. Nom marin de l’alcyon.