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même espèce comme étant, à très peu de chose près, jetés dans un moule toujours identique. Geoffroy Saint-Hilaire, le premier, protesta contre ces doctrines absolues au nom de la puissance modificatrice des milieux ambians. Cet illustre naturaliste soutint que, les conditions d’existence n’étant pas les mêmes, le type primitif devait, jusqu’à un certain point, subir leur influence et présenter des modifications parfois assez étendues. Aujourd’hui les faits viennent de toutes parts justifier ces idées : l’on ne peut plus nier l’existence de races naturelles, c’est-à-dire de variétés constantes se transmettant, par la génération, certains caractères qui les distinguent du type primitif, et, par suite, on a dû souvent réunir sous un même nom spécifique plusieurs espèces jusque-là regardées comme nettement séparées.

Le hareng commun appartient exclusivement à l’Océan septentrional. On ne le pêche que très rarement au sud de La Rochelle, et la Méditerranée ne nourrit même aucun poisson qu’on puisse rapporter à ce genre. Partout il montre les habitudes d’un véritable poisson de mer, et ne remonte que rarement le cours de quelques grands fleuves. En 1695, par exemple, un banc de harengs s’engagea dans la Tamise, et, emporté peut-être par la marée, remonta jusqu’au-dessus de Londres en nombre si considérable, qu’on en prit des milliers avec des seaux ; mais ce ne sont là que des exceptions et ceux qui ont cru que le hareng pouvait s’acclimater dans les eaux douces ont été trompés par quelques ressemblances éloignées ou par des dénominations inexactes. C’est ainsi que le hareng d’eau douce (fresh water herring) des Écossais n’est autre chose qu’une espèce de saumon du genre corégone, qui habite le loch Lomond. Aussi faut-il regarder comme inexécutable l’idée que Noël de La Morinière avait communiquée à l’Institut de naturaliser le hareng dans nos fleuves et en particulier dans la Seine.

L’importance même du poisson qui nous occupe peut expliquer pourquoi l’imagination des naturalistes, aussi bien que celle des simples pêcheurs, s’est quelque peu exercée sur son compte et a mêlé à des faits vrais des erreurs et des fables. On a dit de lui qu’il mourait au sortir même de l’eau ; que, détaché du filet et rejeté immédiatement à la mer, il n’était pas pour cela rappelé à la vie. As dead as a herring, disent les Anglais, et ce proverbe populaire semble avoir reçu une haute sanction scientifique depuis que Lacépède a cherché à rendre compte de cette mort si prompte par la grandeur des ouvertures branchiales du hareng. Toutefois ces assertions sont très exagérées. Hors de l’eau, le hareng ne meurt pas plus promptement que bien d’autres poissons, et si les pêcheurs au grand filet ont pu croire le contraire, c’est que, dans cette sorte de pêche, les poissons sont étranglés par les mailles elles-mêmes et sont déjà tous morts quand on les sort de l’eau. Neucrantz, Sagard, Noël de La Morinière, M. Valenciennes et tous ceux qui ont observé sur nature ont vu les harengs retirés intacts de leur