c’est-à-dire aux lieu et place du droit de propriété. La preuve, c’est qu’après les journées sanglantes de juin, après même le solennel débat qui s’engagea entre la propriété et le socialisme, dans la personne de M. Thiers et de M. Proudhon, le droit au travail a failli triompher. Et cependant qu’on relise les discours de M. de Tocqueville, de M. Duvergier de Hauranne, et l’on verra qu’il n’y a pas un seul des argumens du socialisme qui n’ait été réduit en poussière. L’orateur qui nous paraît avoir jeté sur tout ce débat la plus éclatante lumière en élevant la question à toute sa hauteur et la concentrant sur un principe, c’est M. Dufaure. Nul ne pouvait mieux réussir que cet esprit lumineux à établir que tout le prestige du droit au travail tient à la fausse interversion des deux idées sur lesquelles repose la morale sociale, l’idée du droit et celle du devoir.
Oui, c’est un devoir pour l’état de veiller avec sollicitude sur tous les citoyens, de faire servir les lumières, les ressources, la puissance des plus forts à la protection et au soulagement des plus faibles. Voilà le devoir de l’état, de l’état envisagé dans toute la grandeur et l’étendue des obligations que l’esprit du vrai christianisme et de la vraie démocratie lui impose. Mais dire à chaque individu qui souffre : Vous avez un droit absolu au secours de l’état, un droit aussi rigoureux et aussi précis que celui de faire respecter votre vie ou votre liberté ; dire cela, c’est donner à l’individu une action contre l’état ; c’est l’armer contre la société, c’est encourager la paresse et décourager la prévoyance, c’est préparer l’insurrection.
Il y a ici deux extrémités entre lesquelles la sagesse politique doit se tenir. Niez-vous d’une manière absolue le devoir de l’état ? vous réduisez le gouvernement à une fonction toute négative, vous le déclarez indifférent au progrès matériel et moral de la société, vous portez atteinte à la société elle-même, qui n’est plus qu’une agglomération d’individus sans lien, qu’une association entre les corps plutôt qu’entre les ames et les destinées. On dira, je le sais, que l’état laisse à la religion, aux sentimens bienveillans du cœur humain, en un mot à la charité individuelle, le soin d’alléger la souffrance et de protéger la faiblesse ; mais, si la charité est un devoir pour les individus, elle l’est aussi par la même raison pour cette personne générale qu’on nomme l’état.
Allez-vous à l’autre extrémité, et prétendez-vous, par cela seul que la charité est un devoir de l’état, qu’elle confère des droits absolus aux citoyens ? Je réponds que la charité est un devoir essentiellement différent de la justice. La justice m’ordonne de ne pas vous nuire, et par cela même elle vous confère le droit absolu d’être respecté ; mais la charité, en m’obligeant à vous secourir dans l’infortune, ne vous confère pas le droit d’exiger de moi des secours. Si quelque chose est clair au monde, c’est cela. Or, ce qui est vrai de la charité individuelle est