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pas permis de réaliser. Que pouvais-je au Luxembourg, sans budget, sans armée, sans aucune autre force que ma parole ? Je réponds : On ne demande pas à un homme d’état ce qu’il a eu l’intention de faire, mais ce qu’il a fait. Le socialisme était-il, oui ou non, le maître de la situation ? La preuve qu’il l’était, c’est qu’il s’installait au Luxembourg, malgré le vœu secret du gouvernement provisoire. Il n’y avait point d’armée régulière, dites-vous ; c’était justement votre force. Au lieu de pratiquer la réforme en grand, il ne fallait pas user le temps à concilier quelques petits conflits, à faire la besogne d’un juge de paix, ou, s’il faut employer ici une image plus noble, à imiter saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes.

Quand le socialisme déclare qu’il n’a rien fait, c’est trop de modestie. D’où sont sortis ces décrets néfastes : le décret sur le million de la liste civile qui appartient aux ouvriers, le décret sur la réduction des heures du travail, sur l’abolition du marchandage ? d’où sont venues ces idées d’égalité des salaires, de minimum fixé par la loi, ces projets d’impôt progressif et de prise de possession par l’état de toutes les grandes entreprises ? C’est du Luxembourg qu’elles sont allées à l’Hôtel-de-Ville.

Or, la conséquence nécessaire de ces décrets et de ces desseins publiquement annoncés, c’était l’effroi des chefs d’industrie, la fermeture des ateliers, le travail suspendu. Que faire maintenant de ces flots d’ouvriers chaque jour grossissans, encombrant les mairies, inondant la voie publique ? L’idée ne devait-elle pas venir de les éloigner des chefs-lieux municipaux, de centraliser les travaux et les secours, idée malheureuse, mais inévitable, qui portait la guerre sociale dans ses flancs[1] ? Il fallait ne pas connaître la nature humaine pour s’imaginer qu’après avoir laissé se former ces masses d’ouvriers, long-temps bercés des plus riantes espérances, corrompus par la flatterie, stimulés par la faim, on les déciderait, à quatre mois d’une révolution faite par eux, à regagner paisiblement leurs demeures, à reprendre leurs anciennes habitudes, leur vie laborieuse et chétive. On ne peut en disconvenir, la dissolution pacifique des ateliers nationaux était un ouvrage au-dessus des forces de la sagesse humaine.

De là l’explosion violente de juin. Sans vouloir nier la puissance et les déréglemens de la liberté humaine, en faisant la part des fautes de ceux-ci, de la perversité de ceux-là, il me sera permis de dire qu’entre ces trois faits : le socialisme au pouvoir, la formation des ateliers nationaux, la sanglante crise de juin, il y a un rapport aussi intime qu’entre les trois termes d’un syllogisme, et cette dépendance étroite inscrit dans l’histoire contre les chimères et les impuissances du socialisme un irrécusable arrêt.

  1. Voyez l’Histoire des Ateliers nationaux, par M. Émile Thomas.