Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/349

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ces limites, si nous demandons aux apôtres de la doctrine quelles sont les grandes forces qu’ils appellent à leur secours pour transformer la société, ils nous en indiqueront deux, d’une voix à peu près unanime, l’association libre et volontaire des particuliers, et l’intervention de l’état. Ces deux forces sont-elles réelles ou chimériques, impuissantes ou efficaces ? Voilà maintenant la question.

Le principe de l’association a si bien fait son chemin dans le monde depuis ces vingt dernières années, qu’il n’a plus besoin d’être défendu. Cherchez aujourd’hui parmi les esprits les moins accessibles aux nouveautés et aux chimères, parmi les économistes les plus fidèles aux vieilles traditions de la science ; vous n’en trouverez pas un qui ne s’incline devant le principe de l’association et n’en reconnaisse les bienfaits.

Or, qui a proclamé le premier ce grand principe ? qui en a aperçu et signalé avec une sagacité supérieure la portée immense et la fécondité ? C’est Fourier. Direz-vous que l’école de Fourier et celle de Saint-Simon, en forçant le principe de l’association, l’ont corrompu et compromis ? J’en tombe d’accord ; mais c’est bien d’elles qu’il est sorti. Avant Fourier, l’économie politique, encore à ses premiers pas dans le monde, avait pris pour drapeau la liberté absolue. Cela était naturel : elle avait en face d’elle le régime des corporations, où l’initiative individuelle étouffait ; elle a donc revendiqué le droit de l’individu, et par ses savans travaux, par ses éloquentes réclamations, elle a concouru à le faire triompher. C’est un service inappréciable et qui mérite à Adam Smith, à Turgot et à leurs disciples une éternelle reconnaissance. Mais la liberté, une fois affranchie et déchaînée dans la carrière, a laissé paraître ses excès et son insuffisance, et il a bien fallu chercher des remèdes nouveaux à des maux encore inconnus. Or, de l’aveu unanime des économistes, parmi les contre-poids nécessaires de la liberté, le plus efficace et le plus sûr, c’est l’association. Grace à elle, les petits capitaux, condamnés à la stérilité par l’isolement, acquièrent une puissance jusqu’à présent inouïe. Les vastes entreprises manufacturières et commerciales deviennent compatibles avec la division des fortunes, et la grande culture avec le morcellement indéfini du sol. Par l’association, les forces individuelles, au lieu de s’user par mille petits frottemens, centuplent leur énergie par un harmonieux concours. L’association établit entre divers travailleurs, entre l’apprenti et le contre-maître, entre les ouvriers et le patron, entre les chefs d’une même industrie ou d’industries différentes, une intime et féconde solidarité ; c’est elle, enfin, qui est destinée à résoudre pacifiquement, dans la mesure du possible, l’épineux problème de notre temps : la réconciliation du capital et du travail, l’abolition définitive des classes, l’union intime de tous les membres du corps social.