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m’abstiendrai de ces grands mots qui ont troublé tant de cerveaux faibles, fasciné tant d’esprits naïfs, armé tant de passions coupables de ces formules sacramentelles, la tyrannie du capital, la féodalité industrielle, l’exploitation des travailleurs. Je ne déclame pas ; je n’ai point d’ailleurs le droit ni la prétention de parler en mon propre nom ; j’interroge les économistes, je fais appel à des esprits dont la mesure égale la pénétration, à M. de Sismondi, M. de Tocqueville, M. Rossi, M. Michel Chevalier[1] ; je m’adresse aux observateurs les plus sincère et les plus autorisés, M. Villermé, M. Eugène Buret, M. Léon Faucher, M. Blanqui, M. Gustave de Beaumont[2], et je leur demande si un expérience d’un demi-siècle n’a point prouvé qu’en France, en Angleterre, en Irlande, en Amérique, à côté de tous les signes d’une prospérité brillante, il existe des maux profonds, des maux effroyables ; je demande en second lieu si la liberté du travail, j’entends cette liberté absolue qui isole les travailleurs et ne connaît ni frein, ni contrepoids, n’est pas une des causes principales de tant de douloureux désordres.

Je ne serai certainement contredit de personne en posant en fait que, dans l’état actuel de l’industrie, aucune entreprise importante ne peut être essayée avec quelque avantage que sous deux conditions : une grande accumulation de captal, une grande accumulation de bras. Sans de gros capitaux, point de machines ; sans machines, production lente, coûteuse et chétive ; nul moyen de lutter contre la concurrence et de concilier avec le bon marché des produits la réalisation de grands bénéfices. Sans de fortes masses d’ouvriers, la division du travail est impossible, et le ressort le plus actif de l’industrie est brisé. Reconnaît-on ces faits pour incontestables, voici deux conséquences auxquelles il est difficile d’échapper. Et d’abord, si les petits capitaux sont stériles, si la puissance et la fécondité n’appartiennent qu’aux grands capitaux, une séparation tend inévitablement à s’établir entre deux parties de la société : d’un côté, les capitalistes, oisifs ou occupés, charitables ou égoïstes, formant une classe dont l’entrée devient chaque jour plus étroite et où la richesse se concentre et se fixe ; de l’autre, les ouvriers, laborieux ou fainéans, honnêtes ou pervers, économes ou imprévoyans, mais dans les deux cas incapables d’atteindre jamais aux avantages et à la dignité du capital.

  1. M. de Sismondi, Nouveaux élémens d’économie politique, t. II, p. 331 et 364 ; VIII, 347. M. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, t. III, p. 323. M. Rossi, Observations sur le droit civil dans ses rapports avec l’état économique de la société, M. Michel Chevalier, Lettres sur l’Organisation du travail, p. 269, 318.
  2. M. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers. M. Eugène Buret, De la Misère des classes laborieuses. M. Léon Faucher, Études sur l’Angleterre ; — du Système de M. Louis Blanc. M. Gustave de Beaumont, l’Irlande t. II, p.114.