Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/344

Cette page a été validée par deux contributeurs.

I.


Le socialisme s’est d’abord présenté dans le monde comme une réforme avant tout économique, et il garde encore aujourd’hui les traces de cette origine. Vivement frappés des excès et des déréglemens de l’activité industrielle et commerciale, émus de la détresse qui en résulte pour les classes laborieuses, quelques esprits hardis cherchèrent la cause de tant de maux, et ils la crurent saisir dans la liberté absolue du travail et dans l’isolement des travailleurs, double base de la condition économique faite à notre nouvelle société par la révolution française. Laissez faire, laissez passer, voilà pour Fourier et pour Saint-Simon la principale source de l’anarchie matérielle de la société ; organisation du travail, association, voilà le remède à toutes ses souffrances.

Le socialisme ne s’en tint pas là. Élargissant par degrés son horizon, généralisant sa critique, embrassant enfin tout l’ensemble des institutions civiles et politiques, morales et religieuses de la société moderne, il la déclara radicalement anarchique et mauvaise, et proclama le dessein d’en accomplir l’entière réorganisation.

Ne demandons pas en ce moment au socialisme quelles sont ses découvertes positives, ses moyens précis de rénovation matérielle ou morale ; bornons-nous à le considérer tour à tour comme critique de ce qui est, comme aspiration vague à ce qui doit être, et cherchons à ce double titre où est sa raison d’influence et de vie.

Si tout citoyen et tout philosophe doivent s’incliner avec une reconnaissance profonde devant les bienfaits et les grandeurs de la révolution française, il est impossible de méconnaître qu’elle a fait à la société des blessures terribles, dont la guérison ne sera pas l’œuvre d’un jour. Sa mission a été d’abattre tous les despotismes. Royauté, noblesse, clergé, ordres religieux, corporations industrielles, maîtrises et jurandes, tout ce qui limitait dans un certain cercle l’action individuelle, tout ce qui pouvait étouffer ou gêner son essor, elle a tout brisé. Graces lui en soient rendues ! Mais, en donnant au monde moderne la liberté sous toutes ses formes, liberté du travail, liberté de la pensée, liberté de conscience, liberté civile, lui a-t-elle fourni toutes les conditions essentielles d’un développement normal ? Certainement non ; car, si la liberté est le premier besoin d’une société digne de l’homme, il lui faut des règles et des tempéramens sans lesquels elle se perd et se dévore bientôt elle-même. La vieille société n’était pas libre, mais elle était organisée ; la société nouvelle a conquis la liberté à travers les ruines révolutionnaires, elle n’y a pas trouvé l’organisation.

Quel devait donc être, après la crise, le premier fruit de la révolu-