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l’épreuve qu’elles ont traversée. Les antiques élémens de leur puissance se sont retrouvés au moment du besoin dans toute leur énergie primitive, et cette force que des gouvernemens sérieux doivent à la solidité naturelle de leur assiette, cette force permanente a prévalu contre les forces factices et fiévreuses de la démagogie. S’il est encore pour l’Autriche un véritable sujet d’alarmes, c’est à présent la difficulté de maintenir un juste équilibre entre les différentes nationalités de son empire, et de payer aux Slaves le prix des services qu’ils lui ont rendus, sans leur sacrifier ses douze millions d’Allemands. S’il est pour la Prusse une éventualité inquiétante, c’est l’embarras d’exercer le commandement qu’elle paraît appelée à prendre sur toute la confédération ; l’embarras de sauvegarder l’intérêt de sa propre fortune sans exciter les jalousies et les résistances du particularisme, comme les Allemands appellent aujourd’hui l’esprit d’indépendance éveillé dans les états secondaires par l’absorption fédérale qui les menace. Qu’il y ait là, pour la Prusse et l’Autriche, des complications, des dangers à craindre dans un avenir quelconque, la chose est probable ; mais ce sont du moins des écueils entre lesquels la politique régulière peut encore naviguer, tandis qu’après le mois de mars on était pour ainsi dire débordé par ce flot de passions populaires qui venait battre en brèche les cabinets de Vienne et de Berlin.

Deux fantômes surtout se dressaient du milieu de cette tempête européenne, le fantôme de l’unité de l’Italie, le fantôme de l’unité allemande : c’étaient les prétextes les plus généreux qu’on pût invoquer au-delà des Alpes et du Rhin, pour justifier l’insurrection et voiler l’anarchie ; c’étaient les idées autour desquelles on pouvait grouper le plus aisément ces ames enthousiastes, qui, dans de pareilles entreprises, couvrent toujours de leur sincérité le zèle hypocrite des agitateurs de profession. Nous-mêmes, quelles que soient les fautes qu’on ait commises au nom de ces idées, nous ne les traitons pas irrévocablement de chimères. Bien avant que les orages du mois de mars eussent troublé le cours pacifique des réformes raisonnables, l’inévitable progrès des institutions et des esprits amenait, soit en Italie, soit en Allemagne, une entente commune qui avait déjà fait tomber bien des barrières, et qui pouvait en abattre encore d’autres. On était sur le chemin du possible, on a déraillé pour aller à l’impossible : les exagérations radicales se sont emparées de cette bonne cause et l’ont gâtée. Dans des pays où les lois du sol et de l’histoire ont créé des populations distinctes et divisées malgré l’identité du langage et de la race, on a prétendu méconnaître impunément ces lois indestructibles, et, sur l’identité de langue et de race, fonder une unité absolue de domination. Le radicalisme se plaît dans ces absolus systèmes, qui ne tiennent pas compte des réalités : il s’est donc donné carrière à l’abri du drapeau patriotique, et bientôt il a poussé jusqu’aux abîmes parce que les patriotes radicaux se sont bientôt, comme d’ordinaire, montres plus radicaux que patriotes. Où en est aujourd’hui l’unité allemande ? où en est l’unité italienne ?

Nous n’avons ici ni le temps ni la place d’entrer dans le démêlé pendant à Francfort entre M. de Schmerling, maintenant plénipotentiaire de l’Autriche, et M. de Gagern, chef du cabinet de l’empire allemand. L’Autriche prétend à la fois réserver les intérêts de son existence particulière et ne point cesser cependant de faire corps avec l’Allemagne ; elle ne veut point accepter des rapports purement diplomatiques avec Francfort, elle veut des rapports fédéraux ; elle