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qu’elles étaient pour beaucoup des colères factices, et l’on avait si fort abusé de la vie révolutionnaire, qu’on retombe presque à plat dans la vie de résidence.

La lutte avait été plus cruelle à Vienne qu’à Berlin ; il y reste des marques plus douloureuses. Les purs Autrichiens se réjouissent cependant de la vigueur inattendue avec laquelle on a relevé le drapeau des Habsbourg, et se reprennent croire aux destinées de leur monarchie renaissante. La ferme attitude du comte Stadion dans la diète de Kremsier, les succès non interrompus du prince Windichgraetz en Hongrie, la folie désespérée du dictateur Kossuth, sont autant de preuves du rétablissement de l’autorité impériale. La prérogative monarchique sera certainement conservée dans le premier paragraphe des droits fondamentaux qu’on discute à Kremsier ; la notion ultra-démocratique de l’absolue souveraineté du peuple est encore bien abstraite pour la plus grande partie des députés : « Ce n’est pas l’empereur qui vient de nous, c’est nous qui venons de l’empereur, » disent les paysans, et ils forment une majorité sur laquelle les membres radicaux, qui s’étaient obstinés à rester à Vienne, n’exercent plus guère d’influence : leur crédit tombe devant celui du comte Stadion. D’autre part, c’en est fait bien clairement des Magyars ; leur rôle est fini dans ce monde en tant que nation ; ils vivaient sur une vieille renommée qu’ils ont trop escomptée : ils avaient promis de mourir pour la démocratie allemande, c’est tout au plus s’ils essaient de défendre leur propre patrie ; les voilà sujets autrichiens et battus par leurs sujets mêmes, pour le compte de l’Autriche. La fureur maladive de Kossuth a précipité la ruine d’un pays auquel la sagesse des patriotes constitutionnels semblait encore, il y a quelques années, préparer un nouvel avenir.

Il est néanmoins à Vienne une minorité, plus dévouée à l’Allemagne en général qu’à l’Autriche en particulier, qui regrette dans l’ombre le drapeau rouge, or noir, et qui s’indigne de voir flotter le noir et jaune sur Saint-Etienne. Ceux-là parlent de recommencer. « La bière de fin d’année n’a pas réussi, disent-ils ; la bière de mars sera d’autant meilleure. » Il est question tout bas de canons encloués et de balles fondues, et l’on souhaitait fort, dans ces régions hostiles, que les mauvais temps eussent défoncé le sol mouvant des landes de la Hongrie. L’état de siége a pourtant cessé ; il y a déjà plus d’un mois qu’on ne voit plus, dans les rues de Vienne, les bivouacs et les feux des Croates. Le bourgeois s’accoutumait insensiblement à leur voisinage ; le costume pittoresque des soldats-frontières, leurs ceintures garnies d’une provision de poignards et de pistolets ne choquaient plus tant ses yeux ; leur chants nationaux n’effarouchaient plus trop ses oreilles ; ils sont justement alors partis pour la guerre des Magyars. « Vademecum du soldat en Hongrie, » voilà maintenant le livre affiché dans toutes les boutiques des libraires, et aux vitres ce ne sont qu’images satiriques dans lesquelles on se venge d’avoir cru aux rodomontades des Magyars en se moquant de leurs belles promesses, vengeance un peu tardive pour être encore de bon goût. Tel est, entre autres caricatures, ce légionnaire monté sur la tour de Saint-Etienne et braquant un télescope du côté de la Hongrie avec ces mots : « Je ne vois toujours rien venir. » hélas ! à la place des Magyars ce sont les « étudians de Jellachich » qui sont venus ; le ban s’amusait à nommer ainsi ses sauvages gardes du corps devant la députation des municipaux de Vienne.

Autriche et la Prusse se relèvent, en somme, plus vigoureuses au sortir de