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serait besoin pour que le nom impérial fût béni parmi les prolétaires. Il n’y a qu’un obstacle qui contrarie cette perspective triomphante, un malheureux ministère dont on n’est pas, un cabinet formé par faiblesse ou par aveuglement sous les influences perfides, sous l’œil, sous la main des traîtres. C’est ce cabinet qui s’interpose sans générosité entre le président et l’assemblée, c’est lui qui trouble l’expansion de leurs bons sentimens réciproques ; c’est lui qui étend tous les voiles, qui amasse tous les nuages dont l’obscurité rembrunit la situation. Qu’il disparaisse donc, et qu’on nous mette à sa place ! C’est le ministère des impuissans et des routiniers ; nous sommes l’avenir et la conciliation ; nous sommes le parti neuf, nous portons un monde ; nous sommes les républicains bonapartistes.

Que le président de la république ait entendu, depuis quelques jours, bruire à ses oreilles l’ingénieux frémissement de ce petit complot qui allait et venait du palais de l’assemblée nationale au palais de l’Élysée, que ces rumeurs à la fois alarmantes et caressantes l’aient poursuivi jusque dans ses antichambres, le point est acquis à la chronique, et il n’y a plus à s’en dédire, puisque les meneurs se sont vantés du procédé tant qu’ils ont cru au succès. Oui, l’on s’est fait fort de tenir à huis-clos des conseils privés qui rivalisaient avec les délibérations officielles ; on s’est glorifié d’élever cabinet contre cabinet ; on a pris à tâche de se mettre de la famille pour ne pas avoir l’air d’être d’une intrigue, et, pendant qu’on tendait les filets politiques au plein jour de l’assemblée, on creusait doucement des piéges intimes à la faveur de l’ombre domestique. C’était trop d’artifices ; le coup a manqué : ni le président ni l’assemblée ne s’en sont fiés à ces bons amis qui déployaient une ardeur si touchante pour les rapatrier quand ils n’étaient pas fâchés. M. Louis Bonaparte ne doit jamais l’oublier un moment : ce ne serait point sa grandeur, mais sa ruine, de constituer en France un parti qui se dit à lui ; sa grandeur est de se donner lui-même sans réserve cet immense parti qui veut avant toutes choses un état bien ordonné pour y vivre en paix. Représentant exclusif d’une fraction du pays qui s’appellerait le bonapartisme, le président est certain de tomber, comme on tombe toujours, en s’appuyant sur un autre intérêt que sur l’intérêt le plus général. La meilleure garantie de sa fortune, c’est de s’identifier avec celle de la France, qui ne souffrira plus désormais ni le préceptorat ni le joug d’aucune minorité.

L’assemblée, à son tour, peut maintenant comprendre par quelle sorte d’obsessions on espérait l’entraîner ; elle, n’a qu’à se remémorer la suite des petites scènes qu’on a jouées devant elle ; le mot de la charade perce à travers l’action. Il était très clair qu’elle n’avait point voté la réduction de l’impôt du sel pour faire pièce au cabinet : des députés de tous les bords s’étaient trouvés former une majorité hostile au vœu du ministère, sans autre raison, pour beaucoup d’entre eux, que la raison très mal raisonnée d’être agréables à leurs électeurs. La preuve qu’il n’y avait point là de parti pris, c’est qu’à la séance suivante on corrigea ce qui pouvait paraître politique dans l’échec de la proposition ministérielle, en avouant à peu près qu’on avait péché la veille par étourderie. C’est là le sens du décret par lequel la constituante s’est soumise à l’article 41 de la constitution, et a décidé qu’elle n’adopterait plus rien qu’après trois lectures, comme si elle n’était qu’une simple législative. Les plaisanteries rétrospectives de M. l’évêque d’Orléans n’ont point changé l’esprit de cette dé-