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Nous pourrons donc entendre encore cette voix au timbre d’or vibrer dans le sextuor de Generentola et le duo de Sémiramide. Viennent maintenant un ténor, une cantatrice digne de porter le sceptre de Sémiramis et la faucille de Norma ; vienne surtout ce public élégant, dilettante, raffiné, à qui l’on a tant de peine à persuader qu’on peut entendre, sous la république, d’autres chansons que la Carmagnole, et nous pouvons espérer, aux Italiens, quelques belles et mélodieuses soirées.

Quant à l’Opéra-Comique, il est toujours en bonne veine. Voici qu’au grand et légitime succès du Val d’Andorre, il vient d’ajouter un succès charmant, celui du Caïd. On n’a pas plus de grace et de gaieté que cette musique, et Mme Ugalde la chante, comme l’a écrite M. Ambroise Thomas, avec une finesse, une élégance qui rappelle, sans trop de désavantage, les beaux temps de Mme Damoreau.

N’importe ; tout en applaudissant aux efforts et aux succès de nos théâtres lyriques, nous ne nous lasserons pas de rappeler que, dans des temps comme le nôtre, la vie n’est pas là. Elle serait dans la reproduction enjouée des actualités politiques et sociales, si quelque esprit vraiment distingué, vraiment littéraire, voulait s’acquitter de cette tâche. Le public en a si bien l’instinct, que, faute de trouver dans les sphères supérieures de la littérature dramatique cette satisfaction aristophanesque, réclamée par sa malice, sa curiosité ou son bon sens, il court aux petits théâtres applaudir ces pièces d’à-propos, ces revues de fin d’année, ces charges d’une bouffonnerie un peu cynique, qui nous donnent, en gros billon, la monnaie d’Aristophane. Eh bien ! si tel est le succès de ces drôleries équivoques, charbonnée par une main vulgaire sur le mur d’un théâtre de vaudeville, quel ne serait pas le triomphe d’un satiriste ingénieux, d’un écrivain largement doué d’humour et de verve comique qui s’emparerait de ces cadres populaires ; si flexibles, si favorables à la libre allure de l’épigramme, et qui, sous ces formes capricieuses, flottantes, prêtes à s’assouplir aux exigences de la comédie, de la caricature, de la fantaisie ou du drame, ferait succéder une scène de Cymbeline ou du Songe d’une nuit d’été à une scène des Nuées ou des Guêpes ? Pour atteindre ce but, il faudrait, nous le répétons, que les vrais artistes s’en mêlassent. Où sont-ils ? Pourquoi ce découragement et ce silence ? Pourquoi aiment-ils mieux émigrer ou se taire que nous dire nos vérités ? L’esprit est aussi une fortune ; celui qui le retire de la circulation dans les momens de gêne est coupable envers son pays, et l’on sait d’ailleurs que l’émigration a rarement réussi aux riches en temps de révolution. Que nos hommes de talent acceptent résolûment ce rôle d’intervention courageuse en faveur de la civilisation et de l’esprit, momentanément soumis à l’occupation étrangère. Par là, ils répareront un peu du mal qu’ils ont fait, ou du moins qu’ils ont laissé faire en se condamnant à une sorte d’inutilité brillante, d’étourderie bohémienne, brodée de fantaisies et de caprices. Par là aussi, ils donneront tort à ces agresseurs qui les dépeignent comme des maniaques, des corrupteurs, des enfans gâtés ou des baladins. Dans cette voie que nous leur indiquons, ils trouveront non-seulement des succès nouveaux, mais une réhabilitation urgente, et ils finiront par avoir raison contre les grossiers et les fanatiques, ces éternels ennemis de l’art véritable, c’est-à-dire du sentiment juste et fin de cette harmonie qui est le beau, et de cette mesure qui est le vrai.


ARMAND DE PONTMARTIN.