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mets peu délicat. Ausone nous apprend que, dans les premiers siècles de notre ère, il était abandonné aux dernières classes de la société[1]. De nos jours encore, les pêcheurs russes semblent partager ce préjugé, et vendent à très bas prix les aloses, dont ils regardent d’ailleurs la chair comme un aliment dangereux. Les Arabes, au contraire, font grand cas de ce poisson, le font sécher, et le mangent avec des dattes. Les aloses ont l’ouïe très fine ; elles redoutent le bruit du tonnerre, et sont, dit-on, sensibles aux charmes de la musique. Rondelet, naturaliste distingué du XVIe siècle, assure les avoir vues accourir avec empressement aux accords d’un luth, et, conformément à ces idées, les pêcheurs de la Méditerranée se font accompagner de joueurs d’instrumens quand ils vont à la recherche de ce poisson. Probablement ce singulier appât, loin d’être dangereux pour les aloses, en éloigne un grand nombre des filets où l’on croit les attirer.

Dans la nature, l’importance des rôles est presque toujours en raison inverse de la grandeur des êtres qui les remplissent. Nous trouvons ici un exemple de cette tendance générale. L’alose, malgré sa grande taille, est loin d’être aussi utile à l’homme que son congénère la sardine (alausa pilchardus). Ce petit poisson, dont les variétés diverses sont appelées pilchard, célerin, célan, royan, hareng de Bergues, a conquis sous ces divers noms une réputation justement méritée. Répandu dans toute la Méditerranée et dans l’Océan jusqu’à la hauteur des côtes d’Écosse, il quitte tous les ans, au commencement de l’automne, les profondeurs qu’il habite, et s’approche de nos rivages pour déposer ses œufs. Ses bancs serrés offrent alors aux populations côtières une proie assurée et facile. Aussi voit-on dans quelques-unes de nos provinces les paysans eux-mêmes quitter momentanément leurs travaux pour aller prendre leur part de cette manne annuelle. Montés au nombre de six ou huit sur des bateaux que dirigent deux matelots de profession, ils vont jeter leurs filets à deux ou trois lieues au large, et reviennent jusqu’à trois fois dans la journée déposer sur le rivage le poisson qui s’est emmaillé. Dès le moyen-âge, nous voyons cette pêche être pour nos côtes occidentales une source de richesses d’autant plus précieuses, qu’elles tombent aux mains de classes vraiment laborieuses. Un mémoire de l’intendant de Bretagne nous apprend qu’en 1697, Belle-Isle recueillait annuellement douze cents barriques, et Port-Louis jusqu’à quatre mille barriques de sardines. Or, la mesure dont il s’agit ici représente un poids de quatre mille cinq cents à cinq mille kilogrammes. D’après ces chiffres, on admettra aisément que les évaluations portant à 2 millions le bénéfice annuel de cette pêche pour les seuls parages de la Bretagne ne doivent pas être exagérées.

La Méditerranée semble être la véritable patrie de l’anchois (engraulis

  1. Stridentesque focis opsonia plebis alausas.