Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couplets. Puis sont venues des discordes intestines, aigries encore par un échec très marqué dans Britannicus, et il n’en a pas fallu davantage pour que Melpomène, mécontente du public et probablement d’elle-même, se retirât pendant quatre mois sous sa tente.

Il est triste pourtant de songer à la situation anormale et désastreuse que Mlle Rachel impose au Théâtre-Français. Comme elle na pas réussi, pendant ses dix ans de règne, à donner à la tragédie une vie réelle, à en faire un centre d’action pour les artistes et les poètes, il en résulte que, dès qu’elle s’absente, la tragédie se meurt. C’est que Mlle Rachel n’est, à vrai dire, pour le théâtre contemporain, qu’une superfétation brillante : rien ne la précède, ne l’accompagne et ne la suit. Le trait caractéristique de son talent correct et pur, c’est le manque de création. Elle récite admirablement d’admirables vers, elle fouille habilement dans la poussière du passé ; mais elle n’a vivifié de son souffle ni œuvre, ni poète, ni acteurs, ni théâtre, et il suffit de son éloignement pour faire crouler le portique traditionnel et tarir la coupe tragique. Qu’est-ce donc qu’un état de choses où il dépend du caprice d’une actrice de réduire à néant toute une partie du répertoire, tout un côté de l’art dramatique ? Et qu’est-ce qu’un talent d’artiste, qui, au lieu de faire vivre ce qu’il touche, répand autour de soi des conditions d’immobilité et de mort ?

Pendant que le grand répertoire languissait faute d’interprète, cette lacune a-t-elle été comblée par quelque œuvre, quelque tentative, étincelle jaillie au choc des événemens, révélation où essai d’une comédie nouvelle à qui la révolution offrait tout à coup des élémens, des personnages, des types, des aspects inattendus ? Trouvons-nous au Théâtre-Français une trace, un indice de cette portion de l’art qui naît marche et grandit avec les transformations sociales, leur empruntant ses inspirations sérieuses ou plaisantes, et ne demandant qu’à rencontrer un vrai poète, pour ajouter aux mérite de l’à-propos les conditions d’une vie durable ? C’est en vain que nous chercherions, le Théâtre-Français n’a pas même l’air d’y songer. Le passé, le passé de la veille, celui qui nous paraîtrait déjà vieux, quand même une révolution ne l’aurait pas rendu centenaire, voilà tout ce que nous rencontrons dans ces frêles ou mornes ouvrages qu’on vient de faire passer sous nos yeux. Comme si la Comédie française avait voulu résumer, dans ses exhibitions les plus récentes, tous les genres que les exigences actuelles auraient dû justement vouer à l’oubli, elle nous a donné tour à tour une tragédie biblique, qui n’est pas même une étude de la Bible, une prétendue comédie de mœurs, qui essaie d’égayer, aux dépens des tripotages industriels de 1846, un public ruiné par les vertus républicaines de 1848, et enfin une sorte de pâle et chétif pastel, un trumeau mal copié, une de ces esquisses qui, pour paraître légères, s’efforcent d’être impalpables, qu’a multipliées outre mesure le succès d’un ravissant poète, et auxquelles, pour ressembler en effet aux proverbes de M. de Musset, il ne manque que bien peu de choses : la grace, la délicatesse, l’élégance, l’esprit poétique et charmant !

Ce ne sont pas de pareils ouvrages qui rendront à la Comédie française la place sérieuse et importante qu’elle devrait occuper dans la littérature et la société modernes. La république, nous nous empressons de le reconnaître, l’a traitée avec faveur. Privilège bien rare en 1848 ! le Théâtre-Français a vu, depuis un an, ses charges diminuer et son bien rester le même. C’était l’occasion