Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’on doit aux vaincus. Ces malheureux romans qui s’étalent encore dans le feuilleton de certains journaux nous font l’effet de ces rez-de-chaussée envahis par une inondation, et qui, devenus inhabitables, ont forcé les propriétaires de transporter au premier étage leurs meubles, leurs papiers et le centre de leurs affaires nous n’irons pas mettre le pied au milieu de tout ce dégât, et signaler, pour mémoire, les œuvres individuelles ou collectives de MM. Dumas et fils, où les Péchés de. M. Eugène Sue. Cependant ce dernier nom nous suggère une remarque qui peut trouver ici sa place. Roi du roman-feuilleton, M. Eugène Sue a pu long-temps en être pris comme la personnification la plus complète, la plus populaire. Dans ses ouvrages les plus célèbres, il s’est efforcé de mêler, à des doses habiles, deux élémens bien divers de popularité : les prédications d’un socialisme qui commençait à poindre, et la peinture sensuelle des jouissances que donne la richesse. Ces deux élémens combinés, grossis par les passions démagogiques, ont puissamment concouru à la révolution de 1848 ; ils lui ont servi de prélude, de cortége et de commentaire, et c’est justement cette révolution qui a détruit la vogue du feuilleton-roman, amené la déchéance des maîtres du genre, et condamné M. Eugène Sue à raconter dans le désert. Ceci pourrait lui fournir la morale de ses dernières histoires, et lui rappeler, sous forme de proverbe, qu’on est souvent puni par où l’on a péché.

Non, ce n’est pas là que peut être aujourd’hui le succès, le mouvement littéraire. En remuant violemment les esprits, en détournant les imaginations de tout ce qui leur paraissait offrir des séductions et des prestiges, la révolution devait en pousser au moins quelques-unes dans une voie nouvelle ; et, puisqu’il n’y avait malheureusement lieu ni à l’enthousiasme, ni à l’hymne, ni au dithyrambe, l’épigramme, la satire, le pamphlet, devaient nécessairement éclore dans ces couches un peu inférieures où le roman était étouffé. Cette donnée nouvelle a-t-elle réellement fait naître une œuvre qu’on puisse appeler le pamphlet de notre temps ? Junius est-il ressuscité ? La démagogie a-t-elle à ses trousses un Paul-Louis Courier, comme l’avait eu l’absolutisme ? Pas encore : le champ est fertile, la moisson est belle ; mais le moissonneur n’est pas venu. Toutefois il serait injuste de ne pas reconnaître la malice ingénieuse, la verve aimable et facile qui court, de page en page, dans le livre de M. Reybaud, Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des Républiques. Jérôme a de l’atticisme et du goût, de l’ironie et du bon sens ; il a surtout le mérite de parler à la mauvaise république comme Chrysale parle à sa sœur, en ayant soin de laisser tomber sur Philaminte quelques-uns des traits qui ne s’adressent qu’à Bélise. Nous croyons cependant, qu’on a un peu flatté Jérôme, quand on lui a dit qu’il descendait de Gil-Blas ; cette parenté n’existe qu’à ce degré éloigné où les successions mêmes cessent d’être recueillies. Ce livre, d’un tour et d’une lecture agréable, est plutôt la revanche modérée d’un bourgeois, homme d’esprit, compromis dans son bien-être et menacé dans son repos, que la protestation ardente et railleuse de la raison outragée, l’énergique Provinciale d’une société vaincue par surprise, livrée aux niais, aux fous et aux empiriques. Pour écrire cette œuvre qui n’eût pourtant pas été une œuvre du démon, il eût fallu avoir presque le diable au corps, et le diable de M. Reybaud déguise un peu trop ses griffes.

Dans une gamme toute différente, avec une verve moins fine, mais mieux