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affectionne, sût attirer vers le temple, en dégageant les parties restées obscures, en complétant, dans le même style, les portions inachevées. Grace à cette communauté précieuse que comportent les amitiés véritables, on ne sait plus, en lisant cet ouvrage, à qui, de M. Ballanche ou de M. Ampère, appartiennent tous ces dons heureux de sentiment et de style, et l’on se dit qu’il faut que le portrait soit bien ressemblant, puisqu’il s’est presque confondu avec le modèle.

Ne devons-nous pas ranger aussi dans la catégorie de ces livres d’élite qu’on peut apprécier et lire en dehors de toute préoccupation du dehors, le Port-Royal de M. Sainte-Beuve, dont le troisième volume a été terminé et publié malgré les circonstances si peu propices au recueillement littéraire ! C’est un symptôme digne de remarque et honorable pour notre époque, que ce concours de plusieurs esprits éminens s’empressant, pendant ces dernières années, autour des hommes et des œuvres qui se rattachent au souvenir de Port-Royal, de cette grande et austère phase de la philosophie et de la langue françaises. N’y avait-il pas quelque chose de caractéristique, et une sorte de pressentiment solennel dans cet empressement des studieux et des penseurs auprès des statues vénérées, pendant que le reste de la littérature s’abandonnait aux délices et à l’ivresse du festin ? Ainsi, dans une ville menacée, les sages se groupent au pied des images de leurs ancêtres et de leurs dieux lares ; tandis que les fous s’étourdissent au choc des verres et au bruit des joyeuses chansons.

Quoi qu’il en soit, les divers travaux consacrés à Port-Royal où à quelques-uns des hommes qui en sont la gloire, le beau livre de M. Cousin, celui de M. Faugère, les Études de M. Vinet, ont laissé parfaitement intacte et complète la tâche de l’auteur de Port-Royal. M. Sainte-Beuve, d’ailleurs, est un de ces esprits dont il est difficile d’amoindrir où d’entamer le domaine ; car ils ont moins les allures du propriétaire qui creuse, plante où bâtit, que celles de l’abeille qui butine, que rien ne limite dans son vol, et dont la propriété est partout où se rencontre une fleur à respirer, un suc délicat à recueillir. Cette faculté aérienne, ailée, comme dit Platon, donne un grand charme aux recherches biographiques, aux analyses délicates, aux inductions ingénieuses de M. Sainte-Beuve, et lui assignent une place à part qu’aucun empiétement ne peut menacer. Dans ce troisième volume comme dans ses autres écrits, on trouve, à un haut degré, ce don précieux de compréhension historique et littéraire, ce talent attractif, aimanté, qui, en se fixant, en se recueillant sur un sujet, y fait arriver peu à peu et y combine tout ce qui peut le rendre plus attrayant et plus clair, plus varié et plus complet ; talent qui ajoute à la critique la grace de l’invention, qui fait goûter, en pays connu, les plaisirs de la découverte, et qui, toujours plus rare dans nos temps d’éparpillement et de gaspillage, nous a donné, cette fois, un bon livre et un bon exemple.

Notre tâche, à nous, serait trop douce, si nous pouvions nous maintenir, avec ces écrivains éminens, dans cette sphère où ne nous atteignent plus les préoccupations politiques. Maintenant qu’il nous faut descendre et jeter nos regards sur cette littérature courante qui se trouve forcément en contact avec les événemens, soit pour s’en inspirer, soit pour en souffrir, nous sommes frappé (j’allais presque dire réjoui) du désarroi de ce genre dont la vogue fit scandale, il y a quelques années, parmi les vrais amis des lettres, et que nous ne pourrions incriminer aujourd’hui sans imiter notre aïeul Brennus, et manquer au respect