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grand, les œuvres de ces hôtes heureux des régions sereines, étouffées à leur début par la tourmente et le bruit, reprennent leur valeur et leur place, indépendantes des événemens qui retentissaient pendant leur éclosion silencieuse. Si ces événemens s’y reflètent c’est seulement comme ces nuages qui assombrissent un moment l’azur des lacs, sans que l’onde y perde rien de sa transparence et de sa limpidité. Leur date même devient alors un titre et un attrait de plus et, si l’on se souvient qu’elles ont été écrites pendant que vociféraient les tribuns, les sophistes et les démagogues, on se sent porté à admirer davantage ce culte austère et doux qui protége si bien ses fidèles contre les troubles de l’intelligence et les éclipses du bon sens.

C’est à ces trois sortes de littératures, à celle que les révolutions amoindrissent, à celle qu’elles provoquent, et à celle qu’elles respectent, qu’appartiennent les ouvrages, hélas ! bien rares dont la critique peut aujourd’hui s’occuper. Ainsi, pour commencer par ce qui nous semble le plus digne de nos respectueuses et sympathiques préférences, qu’est-ce que le Ballanche de M. Ampère, sinon un de ces livres discrets, sanctuaires à demi voilés au seuil desquels viennent mourir les passions et les murmures du dehors, œuvres où l’attrait d’une impérissable jeunesse supplée au mérite d’une actualité fugitive, parce qu’elles reposent sur ce qui ne vieillit pas : l’expression juste, mesurée, délicate, d’un sentiment vrai, traduit, dans une forme exquise, par un esprit éminent ! Parmi les physionomies littéraires de notre siècle, il en est peu de mieux acceptées et de moins connues que M Ballanche. On l’admire de loin, comme si l’on craignait de voir, en se rapprochant, s’altérer la clarté et l’ordonnance des lignes. C’est que, chez M. Ballanche, le penseur préoccupé d’une formule philosophique, l’initiateur symbolique et sacré, a fini par prévaloir, aux yeux du public, sur l’homme au cœur affectueux et simple, sur l’artiste au sentiment pur et élevé. Le côté un peu sibyllin, et, pour tout dire, palingénésique du philosophe, a fait tort au côté attrayant et accessible du poète d’Antigone et d’Orphée. M. Ampère s’est proposé de rétablir la perspective et l’accord entre ces deux faces diverses du génie de M. Ballanche. Ainsi qu’il le dit lui-même, « il a voulu pénétrer dans le temple avec les initiés, et, sans lever le voile des symboles, conduire le lecteur dans les parties les plus éclairées du temple, et lui en faire admirer les beautés. » Pour accomplir cette tâche, M. Ampère, qu’une amitié héréditaire unissait à l’illustre mort, a fait alterner, dans son livre, ses appréciations affectueuses et pénétrantes avec des passages extraits de la correspondance et des œuvres de M. Ballanche, et choisis avec assez de tact pour composer de ces fragmens épars un harmonieux ensemble. On comprend aisément combien ce procédé si simple, si favorable à la vérité biographique, devait convenir à la reproduction fidèle, animée, de cette figure un peu estompée déjà par le lointain et le vague. Plus le caractère, le talent et la vie de M. Ballanche avaient manqué de ces grands épisodes qui cisèlent d’eux-mêmes et mettent en relief la plupart des hommes célèbres, plus il avait vécu dans le clair-obscur des sentimens doux, calmes, intimes, étrangers aux événemens qui feront de l’histoire de nos illustres une page de notre histoire générale, plus aussi il importait qu’une main amie, ingénieuse, dévouée, recueillit, dans l’intimité même, les procès-verbaux de cette vie silencieuse, les éclairât par d’intelligens commentaires, et, pour continuer l’image que M. Ampère