après la commotion qui vient de nous livrer encore à toutes les incertitudes, M. Guizot conservait sur la France la même opinion et le même espoir. S’il avait voulu montrer dans nos souffrances présentes la conséquence des fautes qu’il avait dénoncées pendant toute sa vie, il n’avait qu’à rouvrir au hasard ses écrits et ses discours. Dès 1817, ne disait-il pas à ceux qui, comme de nos jours, s’imaginaient pouvoir renverser un gouvernement sans dissoudre la société : « Lorsqu’un esprit nouveau possède la société et lui impose l’obligation de revêtir une forme nouvelle, qu’on ne pense pas que, pour accomplir cette œuvre, il suffise de renverser le gouvernement ; car ce n’est pas son gouvernement, mais elle-même, et elle-même tout entière, que la société a à changer ?… Les peuples, après le renversement du pouvoir, ne tarderaient pas à déplorer l’erreur où les auraient précipités ces hommes qui les invitent à se séparer de leurs gouvernemens, en les persuadant qu’ils sont capables de faire eux-mêmes ce que les gouvernemens refusent à tort. Il n’y aurait plus alors qu’à courber la tête sous la main de la destinée. » S’il avait voulu rappeler le jugement qu’il portait sur ce parti révolutionnaire par lequel la France s’est laissé vaincre en février, il n’avait qu’à redire les paroles qu’il prononçait en 1834, et dont nos malheurs ont fait une prophétie : « C’est ce parti qui a décrié en France les mots de liberté, d’égalité, de patriotisme : c’est ce parti qui a amené tous les échecs de la liberté, toutes les réactions que nous avons eu à subir ; chaque fois que la liberté est tombée entre ses mains, chaque fois qu’il s’est emparé de nos institutions, de la presse, de la parole, du gouvernement représentatif, du droit d’association, il en a fait un tel usage, il en a tiré un tel danger pour le pays, un tel sujet d’épouvante, et permettez-moi d’ajouter de dégoût, qu’au bout de très peu de temps le pays tout entier s’est indigné, alarmé, soulevé, et que la liberté a péri dans les embrassemens de ses honteux amans. » Mais non, M. Guizot, avec un scrupule que la France honorera, a chassé de son esprit toutes les préoccupations personnelles. Il n’a repris dans son passé que le courage et l’espérance. Jeune, après les désastres de l’empire, il s’efforçait de détourner la France des stériles regrets et l’exhortait à refaire elle-même, avec de vaillans efforts, son avenir. « La bonne et la mauvaise fortune, disait-il, se succèdent pour les peuples comme pour les individus ; mais il ne leur appartient pas de décider des destinées d’une ame forte, ni de celles d’une nation énergique. C’est à nous-mêmes, et non aux événemens, qu’il faut demander quel sera notre sort. Nous n’avons plus tout ce que nous avions ; mais ce que nous étions, nous le sommes encore : il reste à la France ce qui restait à Médée après ses malheurs. Puisons donc dans nos revers autre chose que des regrets, qu’ils nous instruisent au lieu de nous abattre : interrogeons-les sur leurs causes, au lieu de nous affaisser sous le poids
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