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— Elle est bien réellement Polonaise ? reprit Ladislas intrigué au dernier point.

— Bien réellement, à ce qu’on assure, dit en souriant l’interlocuteur surpris.

— Comment se nomme-t-elle ?

— Dame ! un nom en ka. Il faut s’étrangler tout exprès avec une arête de poisson pour le prononcer, soit dit sans offenser la Pologne. Je sais seulement qu’elle est comtesse, qu’elle est fort jolie, et qu’elle est veuve.

— Elle est veuve ! Comment se fait-il qu’elle soit veuve si jeune ?

— C’est qu’apparemment elle aura perdu son mari de bonne heure.

— Vous avez raison, dit Ladislas.

La jeune femme, sans deviner l’entretien dont elle était l’objet, causait gaiement avec sa voisine. Notre amoureux chercha la maîtresse de la maison.

— Faites-moi le plaisir de me dire, lui demanda-t-il, quelle est cette ravissante jeune femme ?

— Mon cher Ladislas, venez-vous de la lune ? répondit la princesse.

— J’arrive de Madrid, c’est tout un.

— Si vous n’aviez pas si long-temps vécu avec les taureaux, vous sauriez qu’il n’est question à Paris que de cette belle comtesse Czernavoska.

— Elle est donc réellement Polonaise ?

— Et que voulez-vous donc qu’elle soit ? reprit la princesse en riant. Mais, continua-t-elle comme frappée d’une idée subite, vous la connaissez mieux que personne.

— Moi !

— Vous ; faites donc l’étonné !

— Je vous jure….

— Ne jurez rien. Le château de votre père est voisin de Tupia ?

— Sans doute.

— Vous avez été élevé avec les enfans du comte Pateski ?

— Eh bien ?

— Eh bien, la comtesse Czernavoska, c’est Caroline Pateska.

— Caroline Pateska ! s’écria Ladislas stupéfait.

— Caroline Pateska, dit la princesse. Comme elle est devenue belle ! Elle avait dix ans à peine quand vous avez quitté la Pologne, et il y a quinze mortelles années de cela.

— Et vous dites qu’elle est veuve ?

— Je pourrais au moins vous le dire. Elle avait épousé, il y a cinq ans, ce pauvre Czernavoski, qui s’est tué à la chasse quinze jours après son mariage ; mais vous avez appris ce mariage et cette mort ?

— C’est vrai, dit Ladislas, retrouvant ses souvenirs.