pagnol. Si, aux yeux de Mme de Mortemer, il avait semblé partager également entre les deux amies les frais de son esprit, elle avait aisément deviné, quant à elle, son but et sa pensée. La promenade du matin eût éclairé une moins clairvoyante. Elle sentait que la guerre était déclarée entre eux, si toutefois on peut donner le nom de guerre à ces hostilités charmantes qui plaisent aux deux partis, qui commencent par un regard, continuent par de douces paroles et finissent souvent par un triomphe et une défaite, défaite et triomphe qui sont bénis à la fois.
Le lendemain pourtant, Ladislas était fort embarrassé. Cette guerre était fort de son goût, et son entrée en campagne lui donnait bon espoir ; mais comment la continuer ? où trouver l’ennemi ? comment établir son plan d’opérations ? à qui s’adresser pour avoir des renseignemens ? Le concierge de Mme de Mortemer était sur la défensive ; il ne savait rien d’ailleurs. Les salons étaient fermés, Paris était vide. À la vérité, Ladislas connaissait un assez grand nombre de ses compatriotes : c’étaient des jeunes gens qui hantaient peu le monde et qui passaient leur vie au club polonais de la rue Godot. Il les interrogea discrètement et n’en put rien tirer. Plusieurs jours se passèrent. Notre amoureux arpentait inutilement matin et soir les Champs-Élysées ; entre le lever et le coucher du soleil, il allait en vain trois ou quatre fois observer la cour, toujours déserte, de Mme de Mortemer. Le châle vert ne se montrait plus ; les deux inconnues devenaient invisibles. Où vivaient-elles ? qui étaient-elles ? où les retrouver ? Telles étaient les questions qui agitaient incessamment son esprit. Ses pensées tournaient inutilement dans ce cercle sans issue ; toutes ses suppositions échouaient sur le même écueil. L’ennui, qui l’écrasait depuis quelque temps, donnait à ses regrets une grande intensité. Plus d’une fois, dans sa vie, il avait vu s’évanouir aussi rapidement l’espoir que maintes autres rencontres avaient fait naître en lui. Il en avait pris son parti ; aujourd’hui l’oubli lui semblait presque impossible. Le souvenir de la belle Polonaise avait un charme particulier ; quand son image, pleine de poésie et de volupté, apparaissait à son imagination amoureuse, il éprouvait un entraînement dont il ne se rendait pas compte, et tous ses désirs volaient vers elle. Peu à peu, cependant, le calme le reprit ; son inutile attente le lassa. Ses courses aux Champs-Elysées devinrent plus rares. Il se disposa enfin à quitter Paris et à voyager tout l’été. Son départ fut fixé au lendemain des courses de Chantilly, qui promettaient de réunir une dernière fois tous les fashionables de Paris.
Des divertissemens un peu trop juvéniles ont malheureusement donné à ces fêtes annuelles de Chantilly un renom qui les a fait décliner peu à peu. Là, comme ailleurs, l’orgie a effarouché le plaisir. De malheureuses saturnales, dont on a cependant fort exagéré la licence, ont mis à l’index, dans le monde, les plaisirs permis qu’on s’é-