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du mal, sont obligés de tenir conseil pour savoir s’il est prudent, s’il est possible de continuer la route. Quand on s’assembla, l’expédition venait d’arriver au Tehadda, qui verse ses eaux dans le Niger, à quatre-vingts lieues environ de l’embouchure. Une ferme-modéle a été fondée près de ce confluent. Ainsi les commandans de l’expédition avaient exécuté la partie la plus importante de leur mission. M. William Allen fut d’avis de revenir en arrière et de reprendre la mer sans délai : son expérience lui défendait d’affronter plus long-temps un mal dont les progrès ne pouvaient plus être arrêtés que par l’air salubre de l’Océan ; mais le capitaine Trotter ne put supporter l’idée de borner son voyage à la partie du fleuve déjà explorée. Avide de nouvelles, désireux d’étendre au plus grand nombre possible d’Africains les bienfaits des traités qu’il était chargé de conclure, il persista dans la résolution de poursuivre sa route. En conséquence, il fut décidé que le Wilberforce et le Soudan quitteraient le Niger après avoir reçu à bord tous les malades, tandis que l’Albert continuerait à en remonter le cours avec un équipage nouveau, composé exclusivement d’hommes valides choisis sur les trois bâtimens.

Le 21 septembre, M. William Allen et le capitaine Trotter se séparèrent, l’un pour conduire les malades à l’île de l’Ascension, l’autre pour continuer son chemin. M. Trotter espérait arriver à Rabbah, où il eût cherché à obtenir du gouverneur au nom du sultan des Fellatahs, un traité obligatoire dans toutes les provinces soumises à la domination de ce peuple conquérant ; mais la fièvre ne lui permit pas d’accomplir ce dessein. Le 28 septembre, époque où il arriva à Egga, ville située à une centaine de lieues dans le fleuve, la plupart des officiers de l’Albert étaient étendus sur leurs cadres ; le capitaine lui-même n’avait pu échapper aux atteintes du fléau. Il ne restait plus qu’un seul mécanicien en état de faire le service des chaudières.

Le chef d’Egga, nommé Rogang, n’était qu’un tributaire des Fellatahs de Rabbah. Ce roi, réduit à une véritable misère, voyait arriver avec joie les Européens chargés de lui offrir des présens ; mais il n’osa pas témoigner sa satisfaction, dans la crainte que son suzerain de Rabbah n’en prît de l’ombrage. Dévoré de curiosité, il refusa de venir à bord de l’Albert, de peur d’être accusé de connivence avec les blancs. Lorsqu’il les reçut dans sa demeure, pauvre et humble comme celles de ses sujets, ce fut avec mystère et sans autre entourage que trois domestiques. « Je serais bien heureux, dit Rogang aux officiers envoyés par le capitaine Trotter, de voir le commandant ; mais la nouvelle de notre entrevue serait aussitôt portée à Rabbah, et le gouverneur dirait : « Ah ! Rogang a été voir les blancs ! » Et comme il a grand’ peur des blancs, ceux-ci ne seraient pas plutôt partis, que Rogang éprouverait les résultats de son imprudence. » Les officiers lui