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trouvé une étrange manière de s’exercer. Un petit nombre de conjurés, embrigadés dans les faubourgs d’une seule ville, toujours les mêmes, qu’on faisait voyager d’un endroit à l’autre, transportant, sur un signe, des Tuileries au palais législatif leur royauté avec ses farouches attributs, voilà ce qu’était, jusqu’il y a peu de temps, le peuple souverain. Aux blessures près qu’il donnait sérieuses, au sang près qui coulait véritablement, c’était un peuple de théâtre sortant par une coulisse et rentrant par l’autre. Le côté admirable et utile en même temps des dernières élections a été de faire descendre de sa paisible retraite le peuple véritable, fort différent, à beaucoup d’égards, de ses gérans d’affaires bénévoles. Cette apparition a fait, sur la troupe furieuse qui prenait son nom, l’effet que produit, dans certaines comédies, le retour du maître au milieu des imposteurs qui ont pris ses habits. C’est cette impression qu’il faut conserver. Puisque nous avons la souveraineté populaire, qu’elle soit entière et franche, pour les campagnes comme pour les villes, pour les provinces comme pour la capitale. À ce prix qui n’en voudrait ? car, en restreignant les droits politiques, a-t-on jamais cherché autre chose qu’à suppléer par la présence constante des minorités éclairées à l’inertie malheureusement trop habituelle des majorités honnêtes ? Mais arriver à conserver, dans un temps paisible, ce résultat heureux d’un jour de crise, empêcher le suffrage universel, de devenir, par la désertion des électeurs, la proie d’une minorité turbulente, empêcher la vie politique de refluer tout entière vers le centre du pays, et de mettre ainsi le sort de trente millions de Français au hasard d’une bataille perdue, ce n’est l’œuvre ni d’un seul jour ni d’une seule institution. C’est vers ce but que doivent converger toutes nos lois. Il y a là toute une organisation à faire à laquelle les hommes sérieusement amis de leur pays ne sauraient consacrer trop de soins et d’attention. La loi électorale qui met en pratique le suffrage universel, les lois départementales et communales qui vont décider si enfin on consentira à étendre hors de Paris l’esprit avec les droits de la liberté, c’est là, bien plus que dans la constitution, que réside le secret de notre sort à venir ; c’est là que l’ordre renaissant doit trouver ses plus fermes appuis. Il n’y a pas jusqu’à l’organisation de l’enseignement public qui n’ait, à nos yeux, bien qu’on l’oublie aujourd’hui, presque autant d’importance que les questions épuisées de l’équilibre des pouvoirs. Continuerons-nous, comme dans les derniers temps de la monarchie, à étourdir les oreilles de la jeunesse inquiète par des débats, souvent aussi peu chrétiens que philosophiques, entre la philosophie et la religion ? Trouverons-nous quelque moyen de préserver l’éducation des chances d’une liberté sans limites, en lui assurant pourtant cette influence religieuse qui ne peut pas se réglementer par des décrets, et qui a besoin de la liberté pour