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du directoire avaient tenté, avec plus de corruption sans doute, mais peut-être avec autant de courage, une entreprise exactement du même genre que celle que nous avons eue sous les yeux. Eux aussi avaient eu leurs batailles de juin et de mai, eux aussi avaient tiré, au péril de leur vie, la société d’une république de sang et de terreur. Ces journées fameuses, plus périlleuses encore que les nôtres, s’appelaient le 9 thermidor et 1er prairial. Robespierre étendu sanglant sur la table de l’Hotel-de-Ville, Babeuf se perçant d’un poignard au pied de l’échafaud, voilà par quels rudes exploits ces révolutionnaires convertis avaient rompu avec l’excès des doctrines anti-sociales. Comme nos néophytes actuels, les hommes du directoire avaient la prétention de représenter exclusivement la pureté des principes républicains, et réclamaient pour eux, pour leurs pareils, leurs sentimens et leurs idées, le monopole du pouvoir. Tour à tour ils se donnaient, auprès de la révolution expirante, pour les défenseurs de la république ; auprès de la réaction grossissante, pour les sauveurs de la société, et prétendaient faire tenir la France avec eux en équilibre sur le fil de cette lame étroite. Quand la France haletante, saignée à blanc, rendant sa vie par les quatre veines, leur demandait en suppliant de sortir, des erremens révolutionnaires, ils n’étaient pas fâchés de lui montrer du doigt, pour la tenir en respect, les tigres de la terreur muselés par leurs mains, mais toujours frémissans et qu’on pouvait lâcher sur elle, si elle regimbait. On gardait l’émeute pour les cas extrêmes, et en quelque sorte sur le cadre de réserve. On sait ce que nous devenions avec ce beau régime. Les victoires (on avait alors des victoires) n’enfantaient que la guerre : on marchait de conquête en conquête et de banqueroute en banqueroute ; une décomposition effrayante consumait toutes nos forces. Ne pouvant plus rien tirer par les moyens réguliers, il fallait recourir aux moyens de violence : les emprunts forcés succédaient aux impositions extraordinaires. Il était temps que cela finît, et la France entière marchait derrière la compagnie de grenadiers qui défila, au pas de charge, le matin du 18 brumaire, dans l’orangerie de Saint-Cloud.

Cette fois, Dieu merci, c’est tranquillement, sans coup d’état, par le libre jeu des institutions, même bâtardes, qu’on lui a données, par la forte, mais paisible manifestation de sa volonté, que la France veut s’affranchir elle-même : elle n’attend ce bienfait d’aucun homme. Ce n’est point en violant, à Dieu ne plaise, une représentation nationale, imparfaite expression de ses sentimens, c’est au contraire autour des scrutins ouverts, par de libres élections, qu’elle veut secouer un joug imposé par surprise. Tel est le sens de l’unanimité du dernier vote. Bien étroit dans ses prévisions, bien présomptueux dans sa confiance, qui s’en attribuerait la gloire. Si un souvenir, gravé dans l’esprit des peuples, a fait sortir de l’urne le même nom qui brilla sur la France,