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l’habileté pratique des agens, quelque prévoyance des difficultés du lendemain dans la conduite du jour, quelque intelligence des intérêts généraux d’un pays, quelque égard pour sa politique traditionnelle, c’est à ces traits qu’on reconnaît vite un gouvernement régulier ; c’est par là qu’il prend naturellement dans la balance le poids qui lui appartient. Mais quand un gouvernement, dès le lendemain de sa turbulente origine, a commencé par jeter au vent tous les traités et foulé aux pieds le droit public de l’Europe entière, quand il a salué d’un cri de joie les révoltes même sanglantes et désordonnées de toutes les populaces des capitales, quand il a couvert l’Europe d’agens secrets qui l’ont compromis, d’agens avoués qui le déshonorent ; quand il s’est écarté étourdiment de tous les chemins battus pour se lancer à l’aventure sur la foi de quelques phrases sonores et de quelques idées générales ; quand il s’est décrédité lui-même en faisant des promesses sans les tenir et en s’avançant pour reculer, alors, pour sortir du discrédit où il s’est mis et se faire compter pour quelque chose, la menace est son seul recours. Dès le lendemain de la révolution de juillet, la France, encore sans armée, regardée par toute l’Europe avec une suspicion craintive, entrait cependant de plein saut en conférence, à Londres, avec tous les hommes de 1815, pour assurer l’indépendance de la Belgique. A la révolution de février il a fallu six mois et l’armée des Alpes pour obtenir de l’Autriche aux abois le droit d’être écoutés sur l’indépendance de la Lombardie. Ce sont les correspondans habituels des hommes du dernier gouvernement qui ont assiégé dans son palais le vertueux Pie IX. Moins de tendresse, il y a six mois pour les révolutionnaires italiens aurait peut-être épargné à la France la douleur d’assister en silence à la fuite du chef de la religion catholique et le ridicule d’une expédition manquée.

C’est ainsi que tout se paie et s’équilibre dans ce monde ; on veut avoir l’ordre en pratique et le désordre dans les principes, et c’est la force matérielle qui est toujours chargée de liquider, avec plus ou moins de succès, ce singulier compte. Ce n’est pas, au reste, la première fois qu’un tel spectacle est donné à la France ; il est commun à l’issue des révolutions, alors que les hommes qui les ont faites, indignés eux-mêmes des excès qui en ont souillé le cours, accablés par la réaction du sentiment public, mais cramponnés cependant au pouvoir qui leur échappe, tentent l’œuvre impossible d’arrêter toutes les conséquences, en conservant tous les principes. La nouvelle révolution semble s’attacher, en effet, à reproduire, à l’horreur et la grandeur près, et en réduction pour ainsi dire, toutes les phases de la première. Nous vous reconnaissons, pouvions nous dire, par un phrase célèbre, au système qui nous gouvernait ; nous vous avons vus il y a cinquante ans : vous vous appeliez les thermidoriens et le directoire. Les hommes