jouait en face de Godwin, Godwin, le chef de cette génération par l’âge et la rude hardiesse de ses théories politiques. Sa tête de géant s’inclinait comme un poids trop lourd sur son corps. Petit et grêle. Ce philosophe radical possédait l’exquise urbanité de manières d’un gentilhomme de l’ancien régime ; mais, absorbé par ses méditations abstraites, il n’avait point la souplesse de l’esprit de conversation, et souvent dans ces réunions, lorsqu’il quittait le whist, Home Tooke, le pamphlétaire, s’amusait à le dérouter par la prestesse de sa mordante causerie. Dans un coin, Charles Lloyd, le poète, ami de Coleridge, rêvait aux mystères redoutables du christianisme, qui avaient halluciné son imagination, et à côté, Leigh Hunt, l’un des jouteurs les plus ardens et les plus attaqués de ce groupe libéral, sortant peut-être de la prison où l’avait fait enfermer un article de l’Examiner contre le prince-régent, rayonnait pourtant dans une auréole de spirituelle élégance et de gracieuse gaieté. C’était vers dix heures que le salon se remplissait. Alors on voyait entrer Hazlitt, le plus brillant, le plus profond des critiques ; il avait débuté par la peinture, mais il n’avait trouvé que dans une belle et fière prose le coloris de son imagination et de son ame. Il venait de l’Opéra, où la voix angélique de miss Stephen avait endormi un instant ses colères politiques ; Hazlitt, un singulier Anglais, regrettait que Napoléon, son idole, eût perdu la bataille de Waterloo : c’était le thème périlleux de ses plus éloquentes boutades. Parmi ces nouveaux venus paraissaient des acteurs : le grave Liston, miss Kelly, également supérieure dans la farce et dans le mélodrame, et Charles Kemble, dont la noble mine répandait partout où il paraissait comme un reflet aristocratique. Aucune des célébrités plébéiennes de la littérature ne manquait à ce rendez-vous. Vous y retrouviez tous les camarades de Lamb, jusqu’à notre vieille connaissance, le bon George Dyer. Hissé dans un pantalon trop court, comme un collégien qui aurait grandi trop vite, noyé dans un habit trop large, comme un cuistre de province qui se rend à la réception d’un ministre, celui-ci exposait, sans redouter la moindre malice, sa béate figure aux traits amicaux de ce cercle ricaneur. L’excellent homme questionne Lamb d’un air curieux ; le voilà satisfait. Il voulait connaître l’auteur si caché des romans de Waverley ; Lamb vient de lui confier à l’oreille que c’est lord Castlereagh, arrivé récemment du congrès de Vienne. Même parmi les mercredis de Lamb, il y avait des solennités rares, long-temps annoncées, avidement attendues ; c’étaient les jours où Wordsworth ou Coleridge, de passage à Londres, y devaient assister. Wordsworth, chef d’école, nié alors avec fureur par des critiques acharnés, était accueilli dans la petite église avec une piété fervente. Moins vénéré, Coleridge exerçait pourtant sur ses auditeurs une influence plus fascinatrice. Métaphysicien et poète, ses pensées originales, imprévues, débordantes,
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