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à tous de joyeuses lettres de faire-part pour leur annoncer sa chute. « Le sujet n’était pas assez substantiel, écrivait-il à Wordsworth ; John veut avoir une nourriture plus solide qu’une seule lettre. » Ce fut quelque temps après, vers 1808, que sa sœur commença les Contes shakpeariens, travail délicat dans lequel il vint à son aide ; mais il prétendit toujours que, dans l’œuvre commune, les morceaux de sa sœur étaient les meilleurs. L’année suivante, ils publièrent ensemble un charmant volume : Poésie pour les enfans. Ses amis livraient cependant de plus rudes batailles. Coleridge, ce grand esprit, embarrassé de sa richesse, dispersait son génie en mille essais, courant du poème au drame, de la poésie à la politique, de la politique à la métaphysique, fondant et tuant sous lui des journaux, des revues, et s’exaltant, au milieu de ces agitations, de la funeste ivresse de l’opium. Wordsworth, de sa romantique thébaïde du Cumberland, envoyait, chaque année, dans le monde ses poèmes si calmes, si doux, si imprégnés du silence, de la paix infinie et l’on peut dire de la suave religion des champs ; mais ces œuvres tombaient au milieu de la critique comme des machines incendiaires. Autour de ces poésies fraîches et tranquilles s’engageaient des luttes forcenées et tourbillonnaient le bruit et la poussière des polémiques. Les vieux classiques jetaient des cris de rage devant ces vers simples et familiers dont les hémistiches ne défilaient pas deux à deux, comme mari et femme, se donnant le bras et marchant à pas comptés. D’autres critiques, libres de préjugés, partisans de la réforme littéraire, idolâtres de la grande poésie du XVIe siècle, mais d’un tempérament plus mâle, reprochaient durement à Wordsworth ce qu’ils appelaient des affectations de la puérilité, de l’afféterie. À la tête de ceux-là étaient le rédacteur en chef de la Revue d’Edimbourg, le brillant et terrible Jeffrey. L’autre revue, le Quarterly, fondée pour combattre l’influence politique de l’Edinburgh, prenait volontiers la défense des victimes littéraires de Jeffrey. Lorsque le poème de Wordsworth, l’Excursion, parut, Southey, l’un des fondateurs et des rédacteurs principaux du Quarterly, proposa à Lamb de rendre compte, dans cette revue, de l’œuvre de leur ami commun. Après bien des hésitations, bien des scrupules timides, Lamb accepta. Il aurait mieux aimé que Coleridge se chargeât de ce lourd labeur. Il n’était pas fait à des travaux de cette haleine. Il écrivait difficilement, disait-il à Wordsworth dans une lettre ; il ne pouvait se dominer assez pour rester en place une heure de suite devant sa table ; il craignait que sa critique ne tournât trop au panégyrique, le choix des citations l’embarrassait, que sais-je encore ? Pour accoucher, il se sevra du gin. Enfin, après avoir long-temps tatillonné, Lamb livra son article au rédacteur en chef Gifford comme un condamné résigné au supplice. Ce fut un supplice en effet, mais plus cruel que Lamb ne l’avait prévu. Le numéro du Quarlerly paraît ; Lamb court chez un libraire