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portance plus étendue et des conséquences plus profondes. Le spectacle d’une administration indigne et d’une magistrature méprisée, alors qu’il ne se résout pas, dès le premier jour, dans le détournement des deniers de l’état et la vénalité des sentences, opère dans la morale publique des ravages qu’il n’est pas sur-le-champ possible de mesurer : ils agissent sur les populations exactement comme ces expédiens de gouvernemens immoraux qui ont heureusement disparu de nos lois. La loterie a mérité d’être condamnée, non-seulement parce qu’elle ruinait ceux qui avaient la folie d’y mettre plusieurs fois de suite, mais parce que l’appât d’un gain facile et désordonné exerçait sur les consciences honnêtes une tentation infernale, et détournait des perspectives modestes de l’économie. Lorsque, par le coup de baguette d’une évolution accomplie aussitôt que connue, et dont le télégraphe a été l’instrument presque autant que l’interprète, chaque ville de province a vu en un jour de longs services et un dévouement éprouvé transformés en certificat d’indignité, et sortir de terre, au contraire, tant de mérites célèbres seulement dans des lieux ignorés des honnêtes gens, que voulez-vous qu’en pensent, que voulez-vous qu’enseignent à leurs fils tant de pères de famille, dont les fonctions publiques sont le seul patrimoine, et dont un modeste avancement a été l’espérance de toute la vie ? Entre passer par la longue filière du travail ou par la brèche du patriotisme, peuvent-ils leur conseiller d’hésiter ? Qui ne se croirait aussi bien qu’un autre appelé à tirer le gros lot dans l’urne des révolutions ? Qui n’aimerait renouveler à son profit ces beaux coups de partie qui, faisant table rase de tout ce que le temps et les services ont élevé, débarrassent les derniers venus de toute prééminence incommodes ? C’est ainsi que les révolutions entrent tout doucement dans les prévisions habituelles, dans les chances raisonnables de tout homme qui veut avancer ; et d’attendre à espérer, et de prévoir à préparer, il n’y a qu’un pas. Chaque petit bureau d’administration en arrive ainsi, par degré, à renfermer un petit noyau de conspirateurs en germe tout prêt à faire son profit d’un jour de crise politique. Pendant ce temps, les fonctions publiques, réduites à devenir le prix de coups de main, se discréditent et s’abaissent. Le mépris qui les atteint passe par-dessus leur tête et s’en va frapper la loi même dont elles sont l’image et l’organe : la loi, mot tout-puissant, devant qui tout s’incline dans les nations vraiment faites à la liberté politique, mais qui parmi nous, où le pouvoir absolu est encore si récent, demande toujours à s’incarner dans un homme ; être abstrait, qui emprunte son autorité à la gravité des traits qui le figurent aux yeux des peuples, et sa vigueur à la main qui les exécute ! Un grand pas, peut-être irréparable, a été franchi dans une nation comme la nôtre, quand, du haut de l’honnêteté publique, on a pu se croire