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Elle s’est défendue sans contredit, dans les commissions de l’assemblée, avec le bon sens et l’intérêt public pour appuis ; mais les sentimens, mais le fond du cœur, pour ainsi dire, du gouvernement, pour être condamné à l’impuissance, avait-il cessé de se trahir dans son langage et de percer dans son dépit même ?

La conséquence n’est pas difficile à tirer. Nous sommes un pays démocratique ; nous n’avons pas attendu la constitution de 1848 pour le savoir. Dans un tel pays, la propriété est divisée et incertaine, elle n’est point enracinée dans le sol par des substitutions ; elle n’est pas concentrée dans quelques mains par le privilège. Dans un tel pays par conséquent, et surtout après tant de crises révolutionnaires, la richesse privée, toujours précaire, s’inquiète et s’intimide aisément. Quand elle ne peut pas compter sur l’appui bien franc du pouvoir, quand elle lui suppose des arrière-pensées malveillantes, c’en est fait, cette inquiétude devient fébrile, cette timidité se change en effroi. Elle rentre, pour ainsi dire, dans les entrailles du sol ; aucun appareil de force ne l’en fait sortir. Que m’importent ces beaux bataillons que vous faites parader dans les rues ? Ils me garantissent bien de l’émeute : me garantissent-ils des projets de fiscalité nouvelle que peut accorder à un pouvoir entreprenant l’entraînement d’une majorité facile ? Et que les communistes pillent ma maison, ou que de nouveaux abbés Terray du pouvoir révolutionnaire me fassent vendre mes meubles à vil prix et m’écrasent d’impôts, c’est peut-être pour moi un moins mauvais moment à passer, mais pour mes enfans c’est tout un : ils n’en auront pas moins perdu leur patrimoine. Ainsi raisonnent les capitaux ombrageux, et si le pouvoir s’impatiente, frappe du pied, et laisse échapper quelque exclamation militaire, la colère a sur eux l’effet qu’elle a toujours sur les gens timides, celui de les effrayer davantage. Mais ce n’est là que le petit mal. Dans un pays démocratique, la passion qui domine est celle de l’égalité : noble sentiment, quand il proteste contre des privilèges humilians ; ressort généreux, quand il fait voler à la frontière des populations soulevées contre le drapeau de l’ancien régime et de l’émigration ; mais, comme toutes les semences, celle-ci peut, en tombant sur des sols ingrats, se dénaturer et s’aigrir. Quand les privilèges politiques et sociaux sont détruits, elle peut s’en prendre à ces inégalités naturelles de la fortune et de l’éducation, nécessaires comme la diversité des talens humains, sacrées comme le travail qui les a conquises et comme la famille qui les transmet. Qui n’a rencontré dans sa vie, qui ne pourrait désigner près de soi de ces caractères chagrins que le bien d’autrui afflige comme un mal personnel, qui ont toujours contre la société quelques griefs à faire valoir ? Avocats ou médecins, elle ne s’est pas assez empressée de leur fournir une clientelle ; négocians, elle a trompé leurs spéculations ; lauréats de col-