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et vous connaissez Wharton, Wharton, le mépris et le miracle de nos jours, dont la passion dominante fut la soif des applaudissemens. Il est né avec tout ce qu’il faut pour obtenir ceux des sages ; il ne saurait vivre s’il ne plaît aux femmelettes et aux imbéciles ; quoique les sénats émerveillés soient suspendus à chacune de ses paroles il faut que les clubs le saluent comme leur maître. Vous voudriez que des talens si divers ne courussent pas après la nouveauté ? Il brillera tour à tour comme un Cicéron et comme un Clodius. Puis il se repent et il adore son dieu avec la même ferveur qu’il se prostitue. Pourvu qu’il soit admiré de son entourage, peu lui importe d’être applaudi tantôt par le prêtre et tantôt par la courtisane. Ainsi, avec tous les dons de la nature et de l’art, il ne lui manque rien…, qu’une ame honnête. Pour se faire tout à tous, il prend tous les vices, et, pour fuir l’impopularité, il s’est couvert d’infamie. Sa passion est d’enlever les suffrages, sa vie se passe à les perdre de mille manières. Bienveillance constante qui ne s’est point fait un ami, parole d’ange qui ne peut convaincre personne, fou qui a plus d’esprit que la moitié des hommes ; trop téméraire pour la pensée, trop raffiné pour l’action ; tyran de la femme que son cœur estime, rebelle au roi qu’il aime : il meurt triste, excommunié de l’église et de l’état, et, chose pour lui plus cruelle, fameux, mais non grand.

« Vous demandez pourquoi Wharton a renié tous ses principes ? C’est qu’il avait peur d’être sifflé par les coquins. »

Voilà le vil secret des apostasies emphatiques de notre temps, voilà un morceau qui ragaillardit un cœur mortellement blessé des lâchetés qui se pavanent hypocritement sous des masques généreux. Tels sont les cris suprêmes que pousse la poésie salie et saignante au contact des mascarades mondaines, parmi les foules déguenillées où dorées qui peuplent les salons et les boues des villes ; mais, à l’heure où les villes elles-mêmes cessent leurs sordides agitations et où les Sodomes s’endorment, la poésie retrouve sa fraîcheur dans le parfum des brises et ses extases radieuses dans le silence infini et le vague éther des nuits étoilées. L’angélus sonne l’heure du crépuscule : « l’heure, dit Dante, qui donne au marin le regret du toit domestique et qui attendrit l’ame à ceux qui ont dit adieu à de doux amis ; l’heure où le nouveau pèlerin a le cœur angoisseux d’amour, s’il entend au loin la cloche qui semble pleurer le jour mourant ; »

… Se ode squilla di lontano
Che paia ’l giorno pianger che si muore ;


l’angélus, qui a inspiré à Byron, dans la plus belle stance de Don Juan, ce doux Ave Maria : « Ave Maria ! Bénis soient le moment, le temps, le ciel, le lieu où j’ai ressenti si souvent l’influence de cette heure qui tombe sur la terre, si douce et si belle ; les vibrations profondes de la cloche résonnaient dans la tour lointaine, les dernières hymnes du jour s’éteignaient aucun souffle ne glissait dans l’air rose, et cependant les feuilles des forêts semblaient s’agiter pour prier. » — « C’est l’heure, disait un poète ignoré du XVIIe siècle, Brown, où les petites rafales qui