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côté du feu d’artifice de la gaieté épique et lyrique, c’est la petite flamme capricieuse qui meurt et renaît mille fois en voltigeant sur la bûche embrasée et réjouit de temps en temps le foyer d’un sifflement moqueur Voulez-vous voir de l’humour ? lisez le discours de l’oncle Toby à cette mauvaise mouche qui, durant tout le dîner, s’est acharnée sur son nez comme le vautour au flanc de Prométhée : « Va, lui dit-il après l’avoir prise enfin, je ne te ferai pas de mal ; — et en parlant il s’était levé de sa chaise et traversait la chambre. — Je ne ferai pas tomber un cheveu de ta tête. Va, — et il levait le châssis de la fenêtre et ouvrait la main : Va, pauvre diablesse, pars ; pourquoi te ferais-je du mal ? Ce monde est bien assez grand pour nous contenir tous deux, toi et moi. » Dans un autre ton, un charmant chef-d’œuvre d’humour, c’est le poème coquet de Pope sur une boucle de cheveux enlevée, the Rape of the Lock. Un jeune lord, amoureux d’une belle fille d’honneur, épris des deux grandes boucles qui enroulent leurs anneaux flottans derrière cette jolie tête, a résolu de couper un de ces trophées d’amour et de l’offrir au dieu de la galanterie sur « un autel construit avec une douzaine de vastes romans français superbement dorés, où l’attendent déjà trois jarretières et une demi-paire de gants. » En vain les sylphes chargés de garantir la poudre des coiffures des coups de vent malencontreux qui la font voler en nuages, les sylphes qui empêchent les essences de quitter leurs prisons de cristal et les vases de Chine de s’écailler, qui préservent les demoiselles de la cour du malheur de tacher leur honneur où le brocart de leurs robes neuves, d’oublier leurs prières ou de manquer une mascarade, de perdre leur cœur où leur collier au bal, en vain ces sylphes tutélaires placent-ils Belinda sous leur protection. Un jour il y a réception à Hampton-Court, dans le palais où « la reine Anne prend quelquefois des conseils et quelquefois du thé. » La cour est réunie, les demoiselles d’honneur, les filles des délurées dont Hamilton nous a conté les libres avantages, sourient et caquettent sous leurs éventails pailletés. Les graves hommes d’état et les petits-maîtres arrivent à la file, en faisant leurs saluts plongeans qui jettent en avant les boucles de leurs grandes perruques ; mais, en se relevant, ils les ramènent en arrière avec une dignité parfaite, achèvent de les rajuster avec un trémoussement d’épagneul mouillé, et vont exercer à l’oreille des dames ce grand art du courtisan que Saint-Simon appelait le badinage des femmes. Notre ravisseur s’est glissé parmi ce flot derrière Belinda. Il approche du col neigeux et penché les ciseaux coupables. Cependant les petits sylphes soufflent des tempêtes dans les cheveux flottans de la belle ; ils secouent avec désespoir, ses pendans d’oreilles Peine inutile ! Elle ne s’éveille point à temps. La boucle est moissonnée.

Un humourist, dans le meilleur sens du mot, c’est notre guide, Leigh Hunt. Pourquoi ne pouvons-nous le suivre dans toutes ses courses capricieuses, devant les étalages de libraires, dans sa chambre à coucher