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lait, et c’est l’argent qui a souffert. Il n’y a aucune manière d’échapper à ce côté prosaïque de la question. Or, depuis le 24 février, deux doctrines financières sont en présence : l’une, qui considère la richesse privée comme un vol fait à la société et aux pauvres ; l’autre, qui la tient pour un bien inappréciable, fruit du temps et du travail et couronnement de la civilisation, dont les pauvres ne sont pas les derniers à jouir, et dont l’état reçoit largement sa part. L’une se rattache toujours à ce sentiment populaire et grossier, que la richesse d’un pays est une somme à partager, et que si celui-ci a beaucoup, c’est aux dépens de cet autre qui a peu, et c’est à la loi, suivant elle, d’intervenir pour rétablir l’équilibre. L’autre dérive de cette idée, très simple aussi, mais plus large et plus élevée, que nul ne jouit de sa richesse sans la faire partager aux autres, que le désir de s’enrichir est l’aiguillon de l’activité d’une société, que le luxe même des riches est l’aliment du travail et fait l’éclat de la nation tout entière, enfin que le trop plein de toutes les bourses se déverse toujours dans la bourse commune du public, parce que l’impôt, porté légèrement, rentre abondamment dans le trésor. Allez au fond de toutes les discussions financières qui ont rempli, durant tout le cours de cette année, la tribune et la presse, c’est toujours là le véritable nœud du débat. La richesse des particuliers est-elle tenue pour un mal, ou bien pour un abus qu’il faut tolérer et restreindre, ou pour une force qu’il faut protéger et soutenir ? Est-elle la fleur ou l’excroissance de la société ? sa santé ou sa maladie ? Par une conséquence naturelle, les gouvernemens, pour être équitables, doivent-ils la traiter en amie ou en ennemie ? faire avec elle une alliance sincère ou lui déclarer, par tous les moyens, une guerre sourde de taquineries et d’embûches ? De ces deux points de vue qui partagent le monde économique, veut-on nous dire quel a été celui que préférait le dernier gouvernement ? Son point de départ n’était pas douteux ; les grandes élucubrations financières dont il se vantait tout haut, ces finances républicaines qu’il voulait substituer aux finances monarchiques, qu’était-ce autre chose, à le bien prendre, qu’autant de filets tendus pour arrêter en quelque sorte au passage l’accroissement de la richesse privée ? Un jour, c’étaient les grandes associations financières, ce puissant levier des entreprises économiques, dénoncées la tribune comme une résurrection féodale ; le lendemain, je ne sais quelle forme déguisée d’impôt progressif, nouvel uniforme de ce vieux système rebattu, emprunté des petits tyranneaux du moyen-âge ou des émirs des villes arabes, dont tout le secret consiste à mettre une amende sur ceux qui ont le malheur de faire fortune ; ou, sous le nom d’impôt mobilier, une inquisition régulière méditée pour tenir, dans tous les emplois, tous les capitaux en échec. Partout, en un mot, la fortune privée sentait diriger sur elle l’œil défiant d’un maître jaloux.