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Assez, assez, crie Hotspur, ces éloges donnent la fièvre. Qu’ils viennent ; ils viendront parés pour le sacrifice, et à la déesse de la guerre fumante à la vierge aux yeux de feu, tout chauds et sanglans nous les offrirons. Mars aura du sang jusqu’aux oreilles. Viens, donne-moi mon cheval, qu’il me porte comme un tonnerre sur la poitrine du prince de Galles. Harry contre Harry, cheval contre cheval, nous nous choquerons et ne nous lâcherons plus que lorsque l’un de nous tombera cadavre. » C’est le rhythme vaillant du discours de Cinna :

Romains contre Romains, etc.

Abandonnons cette puissante pléiade du siècle d’Élisabeth. À moins de refaire les livres de Leigh Hunt, nous ne pouvons que feuilleter du bout des doigts les extraits de Ben-Jonson, Beaumont et Fletcher, Middleton, Decker, Webster, Drayton, etc. En quittant cette génération, on n’est plus séparé que par Milton d’une période toute différente de la poésie anglaise ; on sort de la poésie de nature pour entrer dans la poésie de cabinet et de salon, ou, suivant les termes consacrés de nos voisins, on passe de la poésie de campagne à la poésie de ville. À ce moment, il est plus de midi à notre montre littéraire ; la fantaisie et l’imagination fatiguées font place au bon sens élégant, aux règles polies, aux convenances artificielles ; on nous permet l’humour sous la surveillance du goût ; c’est le règne de l’esprit et du bel esprit, si bien que dans l’histoire littéraire de l’Angleterre les héros de cette époque ont gardé tout simplement comme un nom propre le titre d’hommes d’esprit : les wits.

La littérature française a eu l’honneur, au XVIIe et au XVIIIe siècle, de transformer la littérature anglaise. Elle a appris à cette inspirée le bel air et les jolies manières ; elle a présenté cette fière fille des champs et des forêts, cette héroïne de la vie puissante et libre, à la cour, à la ville, à l’académie, dans les assemblées, en habit de marquise, le chignon poudré, le fard aux joues, la mouche au menton, l’éventail aux mains, robe frôlante et queue traînante. Sur l’heure même, les Anglais nous payèrent ce service argent comptant, en nous donnant l’un des plus purs et des plus scintillans écrivains de notre langue, le roi des graces cavalières, le ravissant Hamilton. Aujourd’hui, après quelques cent ans de réflexions, ils sont loin de se tenir pour nos obligés. Nous ne demanderons pas pourquoi nous n’avons pas eu, nous aussi, la grande poésie primesautière, amoureuse de la nature ; pourquoi, sauf le vers de Corneille :

Ces obscures clartés qui tombent des étoiles ;


sauf le vers de Racine :

Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts ?

sauf quelques naïvetés savoureuses de La Fontaine et quelques brusques