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rameurs, et impatiente, si, ce qui est plus ordinaire, on sent dans leurs mouvemens languissans la paresse de leurs bras. Le vent est une force invisible et presque mystérieuse ; il vient d’en haut. Quand il est favorable, il semble un don du ciel, un souffle des bons génies. La rame est un instrument matériel baigné de la sueur humaine ; le rameur fait toujours un peu penser au galérien.

À tous égards, je sens que la période poétique de notre navigation finit aujourd’hui. Depuis deux mois, chaque jour, presque chaque moment, ont été marqués par les impressions les plus vives, les plus agréables. Tout était nouveau, imprévu, c’était la lune de miel du voyage. Maintenant nous allons revoir ; nous verrons mieux sans doute, mais peut-être avec moins d’enthousiasme. Les inconvéniens du climat commencent à se faire sentir ; les précautions à prendre, complètement négligées jusqu’ici, ne peuvent plus l’être impunément. Nous allons entrer dans une période de prudence, de raison, d’étude approfondie. Sans doute, elle aura aussi son intérêt, intérêt plus sérieux peut-être ; mais dans les voyages comme dans les affections, comme dans la vie, il y a une première fleur qui, une fois cueillie, ne renaît plus : autre chose est de monter le fleuve ou de le redescendre.


Ouadi-Halfa.

Les ruines égyptiennes qui existent encore sur la rive gauche du Nil, en face de Ouadi-Halfa, sont peu considérables. Il vaut mieux les étudier dans Champollion que sur place. Il les a vues mieux conservées et moins enfouies qu’elles ne sont aujourd’hui. Au reste, elles appartiennent à l’âge brillant de Thoutmosis, et à cet égard méritent tous les respects. Ce qui en faisait le principal intérêt, c’étaient deux statues, dont l’une est à Florence et l’autre à Paris. La première porte une inscription importante, car elle contient les noms des différens peuples soumis par un roi bien plus ancien que les Thoutmosis, par cet Osortasen Ier, qui fit élever à Héliopolis, vers l’autre extrémité de son empire, les deux obélisques, dont un seul est encore debout, et un obélisque dans le Fayoum. On lit le nom d’un des successeurs immédiats d’Osortasen dans l’Égypte moyenne, sur les parois des tombes de Beni-Hassan. Cet Osortasen et sa dynastie ont donc régné sur toute l’Égypte et sur une partie de la Nubie, et tout cela, selon Champollion et Rosellini, à une époque ou les pasteurs avaient conquis et possédaient l’Égypte. Rien ne saurait expliquer, dans cette hypothèse maintenant abandonnée par la science, la simultanéité de la domination des pasteurs et de la puissance si étendue des Osortasen. On ne peut donc plus, comme les deux savans cités plus haut, faire les Osortasen contemporains des pasteurs ; on est obligé, avec tous les égyptologues récens qui ont traité ces questions, MM. de Bunsen, Lepsius,