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un degré quelconque dans la législation d’un peuple, et ceux qui prétendent le sanctifier en lui donnant l’Evangile pour berceau s’abusent complètement. Il est, comme la plupart des erreurs, vieux comme le monde ; c’était l’institution des peuples barbares ou dans l’enfance. De même que les autres erreurs ; il s’est perpétué jusqu’à nous en changeant de forme ou de nom. Il a paru sous la figure des anabaptistes. Jean de Leyde et Muncer en furent les apôtres et les praticiens ; ces noms dispensent de tout commentaire. Depuis, il s’est montré dans quelques associations plus recommandables, mais extrêmement restreintes, comme les frères moraves, qui n’ont pu durer qu’à la condition de se borner à un très petit nombre de personnes, de proscrire dans leur sein la liberté, de rester étrangers au reste du monde et à tout ce qui sort du cercle exigu de leurs occupations et de leurs croyances. Est-ce la vie morne et sévère des frères moraves qu’on propose pour modèle à nos ouvriers ?

Mais si dans le monde des faits le communisme a été continuellement en retraite, par l’effet, du progrès même des sociétés et de la diffusion de la liberté parmi les hommes dans le monde idéal il s’est perpétué avec une sorte d’acharnement. Nous ne remonterons pas jusqu’à la République de Platon, qu’on doit considérer comme un cadre choisi par cette admirable intelligence pour exposer d’autres idées d’une rare justesse : Plus près de nous apparaissent l’Utopie du chancelier Morus et la Cité du soleil de Campanella l’asservissement de l’ouvrier des champs et des villes est si bien la conséquence obligée du communisme, que Morus, de même que Platon, fait de l’esclavage la base de son édifice. Campanella a fait mieux : tout le monde, sans exception, dans sa cité, est l’esclave d’un chef suprême.

Dans l’ordre des temps nous avons ensuite à signaler deux hommes dont les communistes d’aujourd’hui sont les héritiers directs sans intermédiaire quelconque, Jean-Jacques Rousseau et l’abbé Mably. Quant à l’éloquent auteur du Vicaire savoyard, voici une observation, très judicieuse de M. Franck qui le met hors de cause : Que le communisme ne triomphe pas trop d’un tel appui ; en condamnant la propriété, Rousseau sait bien qu’il condamne la société, et c’est pour cela sait bien qu’il l’attaque. Il les enveloppe l’une et l’autre dans la même proscription. Ce génie atrabilaire exécrait la société, et il voulait renverser la propriété, parce qu’il y voyait la pierre angulaire de l’ordre social. Il célèbre la solitude, l’ignorance, la vie sauvage ; est-ce là l’Eldorado où nos communistes veulent conduire la foule qu’ils appellent ? Dans ses idées sur la propriété, Rousseau n’est donc pas un socialiste, car le socialiste fait profession de croire à une société quelconque. Le socialiste par excellence, le procréateur de vingt de nos écoles modernes, c’est Mably. M. Franck a été conduit, par ses études, à examiner en détail les doctrines de ce philosophe, et il en a même fait l’objet d’un excellent morceau dont il a donné lecture récemment dans une solennité académique. Mably a eu l’honneur, si c’en est un, de compléter au XVIIIe siècle la théorie du communisme, de lui donner sa forme la plus précise, et la plus logique ; mais qu’en fait-il ? Est-il parvenu à le rendre libéral ? Nullement, par la raison que c’est impossible, et que le communisme est essentiellement la tyrannie même. Le gouvernement, dit-il, doit être intolérant. L’état commande au nom de l’intérêt général ; chacun n’a qu’à se soumettre. Dans le système de Mably, y a-t-il du respect, ou simplement de l’estime pour les artisans ou les