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semblé l’être d’abord, et il fut décidé qu’on soumettrait la difficulté à l’aga. On se rend chez lui, le cas lui est soumis, il écoule gravement et répond : « Cet homme a eu tort de s’engager ainsi, mais je ne puis exiger de lui qu’il rompe son vœu ; tout ce que je puis faire pour vous, c’est d’ordonner qu’on lui applique cinq cents coups de bâton. » Nous nous gardâmes de profiter, comme on peut croire, de la proposition obligeante de l’aga. En quittant l’autorité civile, nous rencontrâmes l’autorité religieuse, le muphti en personne. On lui exposa le fait ; même réponse, sauf l’offre des coups de bâton : « Il a eu tort de s’engager par ce vœu, maison ne peut revenir sur un vœu. » Et nous voilà : de retour vers notre barque, ne sachant comment faire pour avoir un pilote sans mettre dans la rue deux familles. Nous ne pouvions céder à cette fantaisie qu’avait eue le Nubien de sacrifier notre sécurité à un mouvement d’humeur contre son camarade, et nous lui déclarâmes qu’il resterait sur notre barque. Je n’ai jamais vu sur une figure humaine une consternation pareille à celle de notre pauvre pilote ; il se résignait, mais comme on se résigne à la mort. Pour lui rendre la vie et ne pas troubler son bonheur domestique, nous le fîmes passer sur la barque de nos amis, où était aussi un pilote Nubien qu’ils voulurent bien nous prêter. Grace à cet ingénieux échange, le malheureux père de famille ne fut point forcé de manquer à son vœu, et tout fut arrangé. Ses femmes et ses enfans ne se doutaient pas du danger qu’ils couraient pendant ce temps-là.

On voit que la puissance du vœu subsiste en Orient depuis le temps de Jephté. Cette coutume n’a jamais cessé d’y régner. La veille de la bataille d’Ana-Sanka, le sultan Baber jura, s’il était vainqueur, de renoncer au vin et de laisser croître sa barbe.

Le temple de Derr a été creusé dans le roc comme ceux d’Ibsamboul et de même par ordre de Ramsès-le-Grand. Il offre un curieux exemple de cette assimilation du roi et du dieu, qui est un trait caractéristique de la religion et de la société égyptiennes. Au fond du sanctuaire, Ramsès est assis, lui quatrième, avec les dieux Phta, Ammon et Phré. Ce qui est plus singulier, c’est que, sur les murs du temple, on lit également le nom de Ramsès à côté de la figure qui reçoit et à côté de la figure qui accomplit l’hommage religieux. Étrange apothéose, dans laquelle le Pharaon est à la fois le prêtre et l’objet d’un même culte !

On voit par là à quel point le monarque était identifié avec la divinité. C’est par la même raison que le nom du souverain des hommes était le même que celui du souverain des dieux[1], que l’épervier et l’urœus étaient à la fois les symboles hiéroglyphiques de la divinité et de la royauté. Ce sont diverses expressions de l’identité de l’idée divine

  1. Ammon-ra, Ammon-Soleil, nom du dieu ; Pharaon (Phra), le soleil, nom du roi.