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constitution n’ont pas prévu le cas où il y aurait quelque peu à retoucher à l’œuvre sortie de leurs mains ? Et si, par un hasard singulier, les successeurs des législateurs actuels se trouvaient obligés, pour cause de ruine imminente, de commencer plus tôt les réparations d’urgence, est-ce qu’on prétendrait les obliger à attendre que l’édifice entier leur croulât majestueusement sur la tête ? Est-ce que, dans la pensée de nos modernes démagogues, il y aurait prescription contre la souveraineté populaire armée du suffrage universel ? Se figureraient-ils avoir rivé la France sur la roche de Prométhée ?

Ces questions ne sont point d’ailleurs posées en ce moment. Il n’y a pas lieu de s’en occuper : à chaque jour son œuvre. Si les événemens nous forçaient plus tard d’aborder ces terribles problèmes, ils se chargeraient aussi de nous en apporter la solution. Jamais nation ne s’est laissé acculer à une impasse : aux cas extrêmes, les remèdes extrêmes. L’union dans le but à obtenir, la régularité dans les moyens nécessaires pour y parvenir, ce ne sont pas là des expédiens violens pour une situation exceptionnelle, c’est l’hygiène ordinaire qui convient aux peuples libres. Il est trop vrai, l’agitation politique est l’état normal du régime républicain. Une seule chose est à savoir : la France qui demandait naguère avec une si fiévreuse ardeur l’extension des privilèges électoraux, la France des banquets de 1847 et de 1848 voudra-t-elle en 1849, témoigner un profond dédain pour des droits si récemment acquis ? Cette France si unanime en mai et en juin pour repousser les dangereux assauts d’une hideuse anarchie, si unanime encore en décembre pour inaugurer l’ère nouvelle par un nom plein de prestige, perdra-t-elle tout d’un coup la mémoire de tant de terreurs et de tant d’espérances ? Ira-t-elle se replonger à plaisir dans les abîmes dont à peine elle est tirée ? Cette fois du moins, nul secours ne lui aura manqué, ni l’expérience des récens naufrages, ni le cri vigilant des pilotes signalant les écueils cachés dans l’ombre, ni ce souffle puissant que Dieu envoie d’en haut pour mener vers le port ceux qu’il n’a pas condamnés à périr.

Ou nous périrons en effet, où nous serons sauvés par l’oubli des anciennes querelles, par l’abandon des vieilles rancunes, par la franche union de tous les esprits droits, de tous les cœurs honnêtes, par la cohésion en un seul et puissant faisceau de toutes les forces vives de ce grand parti national qui a revêtu tant de caractères différens, qui s’est appelé de tant de noms divers pendant la première république, sous l’empire, pendant la restauration, sous la dernière monarchie, mais qui, dans tous les temps et sous tous les régimes, n’a jamais eu qu’un même drapeau et une seule devise : la défense de l’autorité régulière, de l’ordre vrai, de la liberté sérieuse. Et vraiment, quand on songe quel rôle, dans le mouvement précipité qui nous emporte depuis plus d’un demi-siècle, les classes diverses de la société et les partis opposés