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économistes parce qu’ils n’ont pas découvert cette mesure les socialistes sont donc aussi spirituels que des gens qui se moqueraient des mathématiciens, parce que la géométrie ne peut trouver le rapport de la diagonale au côté du carré. Les socialistes n’ont réussi par là qu’à montrer, au début même de la science économique, qu’ils étaient incapables en grammaire de comprendre la définition d’un mot, en logique de saisir le rapport qui unit deux idées, en arithmétique commerciale de concevoir cette règle de trois par laquelle les négocians établissent leurs prix et qu’ils appellent un arbitrage.

C’est pourtant d’une absurdité aussi palpable que les socialistes font sortir la négation de la propriété, l’illégitimité prétendue des revenus du capital, de l’intérêt de l’argent. Ce mot si célèbre de M. Proudhon, la propriété, c’est le vol, ce mot qui, après avoir été le scandale de la tribune nationale, fait aujourd’hui la joie du vaudeville, ce mot qui nous menace toujours pourtant de nouvelles barricades, et qui, suivant son auteur, doit nous tuer, ce mot est la dernière conclusion de la folie que nous venons de discuter. M. Proudhon tire cette conclusion de la théorie du produit brut et du produit net, et il prétend avoir fait reculer sur ce terrain tous ceux qui ont essayé de le réfuter. « La démonstration socialiste, écrivait-il dans son dernier pamphlet, a été poussée jusqu’aux dernières limites de la précision et de l’évidence mathématique, et jamais, il ne faut pas se lasser de le dire, jamais les soi-disant économistes n’ont osé s’engager sur ce terrain. La propriété est impossible, a dit le socialisme, parce qu’elle suppose dans la société une chose absurde et contradictoire, à savoir une différence entre le produit net et le produit brut ; parce que, pour satisfaire aux exigences de ce faux principe et du droit qu’on en fait résulter, le propriétaire-capitaliste entrepreneur est obligé de vendre 100 ce qui ne lui coûte que 80, et que le travailleur-consommateur salarié ne peut payer que 80 ; parce que, dans ce régime d’exploitation usuraire, d’extermination réciproque, les produits ne s’échangent plus contre des produits, les réalités contre des réalités, mais contre des ombres, contre des fictions ! » Dans son ouvrage sur les Contradictions économiques, M. Proudhon, en 1846, jetait à la société, sur le même sujet, le même défi et les mêmes menaces : « Depuis six ans, j’ai soulevé cette effroyable contradiction ; pourquoi n’a-t-elle pas retenti dans la presse ? pourquoi les maîtres de la renommée n’ont-ils pas averti l’opinion ? pourquoi ceux qui réclament les droits politiques de l’ouvrier ne lui ont-ils pas dit qu’on le volait ? Pourquoi ?… Victimes du monopole, consolez-vous ! si vos bourreaux ne veulent pas entendre, c’est que la Providence a résolu de les frapper : — Non audierunt, dit la Bible, quia Deus volebat occidere eos. » On ne doit plus mépriser de pareilles provocations dans un temps où elles peuvent se traduire en coups de fusil et en coups de poignard.

Qu’est-ce donc que cette contradiction du produit brut et du produit net ?