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Projet de dixme royale. « Par toutes les recherches que j’ai pu faire depuis plusieurs années que je m’y applique, j’ai fort bien remarqué que, dans ces derniers temps, près de la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité, et mendie effectivement ; que des neuf autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l’aumône à celle-là, parce qu’eux-mêmes sont réduits, à très peu de chose près, à cette malheureuse condition ; que, des quatre autres parties qui restent, trois sont fort mal aisées et embarrassées de dettes et de procès, et que dans la dixième, où je mets tous les gens d’épée, de robe, ecclésiastiques et laïques, toute la noblesse haute, la noblesse distinguée, et les gens en charge militaire et civile, les bons marchands, les bourgeois rentés et les plus accommodés, on ne peut pas compter sur cent mille familles, et je ne croirois pas mentir quand je dirois qu’il n’y en a pas dix mille, petites ou grandes, qu’on puisse dire fort à leur aise. » Telle était la condition du peuple, il y a un siècle et demi, à l’époque la plus magnifique de notre histoire. Les socialistes trouvent-ils que dans ce temps la pauvreté fût accidentelle ? Parce qu’elle s’appelait alors mendicité au lieu de s’appeler paupérisme, était-elle préférable aux misères actuelles ? Trouvent-ils, si récent est le mot, que nouvelle soit la chose ?

Sans remonter au règne de Louis XIV, il est démontré par les observations les plus incontestables, par les chiffres les plus éloquens, que, depuis la fin du XVIIIe siècle, la condition des travailleurs s’est chaque jour améliorée. Les socialistes déclament sans cesse sur la formule erronée de Malthus, suivant laquelle le genre humain serait décimé, dans la personne des prolétaires, par une sorte de famine chronique. M. Proudhon lui-même, qui l’a reprise pourtant comme une bonne machine de rhétorique révolutionnaire, avait donné une excellente réfutation théorique de la prétendue loi de Malthus dans ses Contradictions économiques. Il était encore réservé à cet épouvantail célèbre de figurer dans le discours d’un dramaturge de boulevard devenu l’orateur lettré de la jeune Montagne. La réalité a démenti cette théorie sinistre si avidement exploitée par le socialisme. Ainsi il est certain qu’en France la population a augmenté en même temps que l’industrie, et que la consommation s’est accrue parallèlement en une proportion plus forte. Il y a eu, dans le XVIIIe siècle, dix famines, et dix fois le prix de l’hectolitre de grain s’éleva au-dessus de 50 francs. Que les socialistes disent si un fléau semblable a pesé une seule fois sur le peuple depuis l’ère industrielle. En 1791, la production totale du froment était évaluée, en France, à 47 millions d’hectolitres, ce qui donnait 1 hectolitre 65 centilitres pour chaque habitant ; en 1840, elle était de 70 millions d’hectolitres, ou 2 hectolitres par tête, et la masse des autres subsistances a reçu un accroissement encore plus considérable. Il y a un signe non moins certain de la diminution du malaise du peuple, c’est le produit des contributions indirectes qui, les taxes demeurant les