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voulait venir à revendiquer ; nous y ajouterions les impenses, défrichemens, intérêts des capitaux : il y a là de quoi faire reculer les plus intrépides. Quant à l’action du fisc, je ne la redoute pas davantage. Il n’existe plus, il est vrai, de la famille N…, à laquelle la terre fut donnée il y a quatre ou cinq cents ans pour les descendans des deux sexes, qu’une veuve et sa fille ; cette fille se mariera, elle aura des enfans, et alors aucune difficulté. Mettons les choses au pis, et qu’elle se voue au célibat ; elle vivra cinquante ans encore ; à sa mort, j’ai la chance que le fisc ne retrouve plus les anciens titres de la donation ; il s’en est tant brûlé dans nos guerres continuelles avec les Turcs ! Quelque dénonciateur les déterrera peut-être, pour obtenir la récompense du cinquième que la loi promet en pareil cas ; mais il aimera mieux, sans doute, me les vendre au même prix. Si cependant le fisc est armé, il faudra qu’on m’intente une action. Je serais bien maladroit si cette action ne dure pas trente ans ; dans ce laps de temps, quelques joyeux avènement viendra annuler toutes les poursuites commencées contre les détenteurs des biens domaniaux ; me voilà hors d’affaire.. Au fond, croyez-vous qu’aux yeux d’un étranger, votre système d’hypothèques légales pour la femme et les mineurs, de privilèges pour l’état et le premier vendeur, paraisse beaucoup plus sûr ? Nous vivons, malgré tant de raisons d’être inquiets, et nous laissons pousser des arbres de haute futaie tout comme en France. Il y a deux bonnes manières d’acheter des terres en Hongrie : il faut acheter très cher ou très bon marché. Dans le premier cas, nul n’a intérêt à vous déposséder, puisqu’il faudrait rembourser le prix que vous avez réellement payé ; dans le second, votre propriété n’a pas sans doute le même caractère de stabilité qu’en France, mais la chance des plus-values, le temps plus ou moins long de votre jouissance, représentent, et au-delà, la somme que vous avez versée. Nous sommes un peuple pasteur ; nous levons notre tente plus facilement que d’autres ; l’herbe des champs n’empreint pas sur le sol la marque et la limite du propriétaire aussi profondément que le soc de la charrue. Que diriez-vous donc des pratiques de commessation en usage chez nous, et dont vous ne connaissez pas probablement le nom un peu barbare ? J’imagine que vos petits propriétaires de France, attachés à leur champ comme l’escargot à sa coquille, jetteraient de hauts cris, si on leur parlait de remettre leurs héritages en commun, pour les tirer ensuite au sort, chacun en proportion de sa mise. La chose se pratique chaque jour ici. Le seigneur ou les paysans, croient qu’il y a eu des usurpations des uns sur les autres, que les terres urbariales ont empiété sur le domaine seigneurial, ou réciproquement ; on recherche d’après les anciens titres quelle doit être l’étendue des terres de chacun, et l’on procède à un arpentage général ; l’opération dure quelquefois dix ans, pendant lesquels nul ne sait quel