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toutes particulières. En principe, la couronne est propriétaire de toutes les terres ; ce que nous appelons droit de propriété, les lois hongroises le nomment droit de possession, jus possessionarium. Toutes les terres sont des fiefs, la plupart masculins, quelques-uns féminins. A l’extinction de la ligne mâle, ou des deux lignes dans le dernier cas, ces fiefs retournent à la couronne. En d’autres termes, toute terre noble a été grevée jusqu’à présent d’un double privilège : 1° de substitution en faveur de tous les membres de la famille du premier investi ; 2° d’un droit de retour en faveur de la couronne à l’extinction de la famille par elle investie. Dans la langue des jurisconsultes, le premier de ces droits se nomme aviticitas, le second fiscalitas, — le droit des aïeux, le droit du fisc. — Cette législation, si profondément empreinte de la tradition féodale, a été constamment l’objet des attaques des réformateurs hongrois. Dans la diète de 1840, le député Deàk, entre autres, fit ressortir avec une grande verve de raison et de logique tous les inconvéniens d’un tel système. Les docteurs de l’école communiste pourraient consulter avec fruit le discours du démocrate hongrois ; ils verraient quels abus et quelle ruine engendre toute incertitude dans la propriété.

Voici en effet ce qui arrive. Les ventes ne peuvent se faire que sous la condition impérative de la donation originaire. Il n’y a donc jamais de vente perpétuelle, de transmission incommutable, dans le sens que nous attachons à ce mot. La vente n’est, en réalité, qu’un contrat de gage ou de réméré, contre lequel tout membre de la famille du donataire a une action ouverte. Chose bizarre ! c’est cependant à l’existence de cette famille qu’est attachée la possession de l’acheteur. Si la famille vient en effet à s’éteindre, les biens feront retour au fisc, car on n’a pu vendre que ce qu’on avait reçu de la couronne. Les héritiers du vendeur ont trente-deux ans pour réclamer contre la vente et la faire annuler à leur profit, en remboursant le prix payé et les dépenses faites. Cette prescription de trente-deux ans étant suspendue pendant la tenue des diètes et pendant les temps de guerre, pouvant aussi être interrompue et se renouveler par une simple protestation judiciaire devant un des chapitres établis à cet effet[1], il en résulte que les trente-deux ans ne finissent jamais, et que l’acquéreur vit sous le coup d’une revendication perpétuelle tant qu’il existe un seul membre de la famille du premier donataire ; mais, si cet éternel ennemi vient à mourir, la chance de l’acheteur, on le comprend, est bien autrement

  1. On appelle ces chapitres dota credibilia ; ce sont des chapitres ecclésiastiques qui ont le privilège d’assurer l’authenticité des actes qui y sont dressés ou déposés. Ils remplissent l’office de notaires publics et remplacent aussi nos bureaux de conservation pour les hypothèques ; ils jouissent en Hongrie d’une confiance méritée par la bonne foi et la fidélité de leurs gardiens. Joseph II a en vain cherché à leur substituer des établissemens civils.