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pas le besoin d’être mieux. Les Hongrois, race dure et indifférente, adonnée volontiers au pâturage et à l’éducation des bestiaux, s’inquiètent assez peu de l’intempérie des saisons, méprisent les habitudes casanières, et croiraient plutôt s’efféminer en acceptant tout ce cortége de petites nécessités qui se sont introduites peu à peu dans la vie moderne. Mais ce qui prouve que la malaisance qu’on peut rencontrer chez le paysan hongrois ou slave n’est point la suite de la condition générale du paysan en Hongrie, c’est le bien-être incontestable du colon et du paysan allemand. Celui-ci apprécie très bien toutes les douceurs de la vie intérieure ; il est aussi industrieux et économe que le paysan hongrois est dissipateur, buveur ou quelquefois ami d’une sorte de braverie orientale qui recherche le clinquant et les ornemens fastueux. Les charges du colon allemand sont précisément celles qui pèsent sur tous les paysans ; si donc on ne trouve pas chez les autres races cette aisance enviable qu’étalent les villages allemands, c’est bien aux vices, ou si l’on veut aux qualités de la race, qu’il faut s’en prendre, et non point à la législation urbariale.

Je suis entré non pas dans une, mais dans dix, dans vingt maisons de colons allemands, je ne connais rien de plus propre et de plus commode ; ce n’est point la vie des bergers d’églogue ; il y a du travail, des charrues, des charrettes ; ce n’est rien non plus de ce qui éloigne souvent les regards de la vie des campagnards, la malpropreté, la misère, l’entassement. Citons, par exemple, le village d’Iénö, entre Pesth et le lac Balaton : il est dans les conditions moyennes. Là chaque famille a sa maisonnette le long d’une large rue plantée d’arbres ; derrière, le jardin et un clos de vignes. Chaque année, on repeint à la chaux la maison, comme dans ces villages charmans de Biaritz et de Cambo, au pays basque. La chambre où couche la famille est séparée de la cuisine ; les meubles sont fabriqués par le menuisier du village avec les noyers et les érables coupés dans les forêts du seigneur. Les armoires sont pleines de gros linge blanc, que la ménagère et ses filles ont filé pendant l’hiver. Je suis monté dans les greniers, je les ai trouvés garnis d’orge et de farine ; je suis descendu dans les celliers, et ils étaient pleins de vin. Je n’ai pas oublié la cour où dormaient au soleil une douzaine de ces petits porcs à moitié sauvages qui assurent au ménage ses festins de tout l’hiver. Dans le pâturage qui s’étendait derrière le jardin paissaient sept à huit petits chevaux, les compagnons et presque les amis du paysan. Il se sert à peine du fouet avec eux, mais les guide et les anime en leur parlant constamment, comme les muletiers espagnols. L’habillement du paysan allemand est chaud et commode : dans la mauvaise saison, la plupart portent un pantalon de drap avec une veste garnie de fourrure, et une paire de bottes fortes