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juris. Ces plaisanteries n’empêchaient personne de rendre hommage à ses hautes qualités, à ses connaissances inépuisables, même à la rudesse austère de sa conscience, qui ne se pliait que devant l’autorité de la loi. Il avait composé sur le droit public de Hongrie un traité complet que lui seul sans doute était capable de faire ; le livre fut retenu impitoyablement à la censure de Vienne ; on lui demandait des adoucissemens, des suppressions qu’il ne voulut jamais accorder. Chose bizarre et qui marque bien la situation fausse où l’on était réciproquement placé, le chancelier de Hongrie ne pouvait obtenir qu’on lui laissât imprimer un livre sur l’organisation du royaume dont il était le premier fonctionnaire !

Le comte Cziràky s’opposa à ces projets de coup d’état libéral, et son opposition arrêta tout. La question resta suspendue jusqu’à l’année dernière. À cette époque, le gouvernement autrichien se détermina à accomplir par les voies constitutionnelles la réforme projetée et à demander à la diète elle-même l’extension du droit de vote pour les villes libres. La troisième des propositions royales apportées aux états à la fin de l’année 1847 annonçait un projet de loi sur le vote des députés des villes et aussi sur l’organisation des municipalités : on faisait droit ainsi aux doubles griefs que nous avons exposés. On saura bientôt ce que la dictature aura fait de cette loi d’égalité et de réparation.


III – LES PAYSANS

On n’a pas oublié les terribles coups portés par le comte Széchény aux droits de dîmes et de corvées, et les améliorations qui en étaient résultées dans la condition des paysans : ajoutons que ce cortége de mots féodaux, serfs, dîmes et corvées, fait naître dans notre esprit élevé à l’école du XVIIIe siècle des idées hors de tout rapport avec la réalité.

Je partageais ces idées à mon premier voyage en Hongrie. Le simple aspect des choses suffit pour les dissiper : je n’hésite pas à dire que la condition du paysan hongrois est de tout point supérieure à celle des petits cultivateurs de la plus grande partie de la France. Au fond, comme le disait à la diète le comte Desewfy, les dîmes et les corvées, une fois dégagées de la glèbe féodale, n’étaient que le loyer de la terre payé par le tenancier au propriétaire du sol. Si l’on compare ce mode d’exploitation avec celui du métayage ou de la culture par colons, appliqué dans les départemens du centre et du midi de la France, on trouve que tout l’avantage est au profit du paysan hongrois. Dans le système français, le propriétaire fournit la terre et quelquefois les bestiaux ; en retour, le métayer donne 50 et 60 pour 100 des récoltes, quelquefois plus dans les terres très fertiles. Au lieu de la moitié, le paysan hongrois ne livre guère que le cinquième des récoltes tant au seigneur