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dans la personne même du roi ou dans les classes privilégiées qui ont représenté jusqu’à présent le peuple hongrois ? On comprend combien cette question, toujours dangereuse à agiter, prenait d’importance vis-à-vis de la législation confuse et contradictoire que nous venons d’exposer. Le mémoire concluait en fait et en droit que cette souveraineté non définie appartenait au roi, et que jamais occasion plus légitime ne s’offrirait pour en faire usage. « Tout ce que l’on peut retrouver dans nos lois, disait-on, est en faveur de la demande des villes. L’article 26 des décrets de 1495 établit qu’il y a à la diète quatre états : le clergé, les magnats, la noblesse et les villes. Nulle part on ne parle des voix des comitats. La dénomination de député des comitats est toute moderne ; elle est irrégulière, car le député du comitat ne représente pas la population entière, mais seulement le troisième ordre, les trois autres étant déjà présens à la diète et les paysans n’ayant aucun droit de représentation. Cette loi met sur la même ligne les députés des comitats et les députés des villes (nuntii civitatum) pour le droit de vote. S’il en avait été autrement, si les députés des villes royales toutes ensemble n’avaient eu qu’une seule voix, pourquoi les anciennes diètes, et notamment celle de 1687, article 17, faisaient-elles des représentations au roi sur le nombre croissant des villes royales et la perturbation que l’accroissement de nombre de leurs députés pouvait apporter dans les états ? »

Ce dernier argument avait sans doute beaucoup d’autorité. Le gouvernement autrichien et l’archiduc palatin lui-même se montraient disposés à suivre les conseils du publiciste hongrois et à trancher la question au profit des villes et du tiers-état. La responsabilité de cette entreprise eût été grave ; après tout, je doute qu’elle eût prévalu contre les résistances que la forme eût soulevées, même de la part de ceux qui auraient approuvé le fond de la mesure. Peut-être les villes elles-mêmes auraient-elles fait comme la femme de Sganarelle. Le gouvernement n’eut pas à tenter l’épreuve ; il fut arrêté dès l’abord par la résistance qu’il rencontra dans ses propres conseils : le vieil et jaloux amour des Hongrois pour la constitution s’y était conservé pur de toute nouveauté dans un homme d’une grande énergie. Le comte Cziràky, chancelier de Hongrie à cette époque, n’avait pas toujours défendu la liberté, mais il chérissait par-dessus tout la constitution. C’était un esprit ferme et presque opiniâtre, d’une vaste érudition, peu disposé à céder aux idées du jour, mettant son courage à braver l’injustice ou la folie des entraînemens populaires. Cziràky était alors en butte aux attaques du parti libéral ; on l’accusait d’entraver tout progrès, de demander toujours, non pas si telle chose était juste, mais si elle était autorisée par le Corpus juris. On avait fini par l’assimiler à l’œuvre qu’il invoquait sans cesse, et dans la langue des partis on l’appelait le Corpus