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Russie trompait l’Europe aussi bien que sur le prétendu consentement des Turcs à l’intervention ; car il n’est pas un seul article des conventions de Kaïnardji, de Bucharest, d’Akerman et d’Andrinople, qui donne à la Russie ce pouvoir sur les principautés.

Le jeune gouvernement valaque, frappé mortellement par ce manifeste, ne voulait pas du moins en attendre les dernières conséquences sans le réfuter, et les argumens ne lui manquaient pas. Il prouvait victorieusement que les traités accordent à la Russie simplement un droit de garantie, et que ce droit ne peut s’exercer sans être préalablement invoqué par les Valaques eux-mêmes. Si les principautés aux prises avec la Porte-Ottomane eussent été lésées par elle dans leurs privilèges, dans leur constitution, dans leur nationalité, elles eussent légitimement pu faire appel à la générosité de la Russie, lui demander son concours désintéressé pour ramener la Turquie oppressive au respect de leurs droits. Ce n’était point le cas ; les Valaques ne se sentaient ni opprimés ni menacés par le sultan, et ils ne songeaient nullement à solliciter les bienfaits du czar ; ils ne voulaient, au contraire, que se débarrasser des corruptions et des hontes entretenues soigneusement au sein de l’administration valaque par la main perfide du protectorat, et resserrer par un tardif, mais réel dévouement, les liens antiques et légaux par lesquels ils étaient associés au destin de l’empire ottoman. Il est vrai qu’à la suite du règlement imposé durant l’occupation, après la guerre de 1828, on avait introduit une stipulation malheureuse en vertu de laquelle aucun changement ne pourrait être apporté aux institutions sans le consentement de la cour suzeraine ; il est vrai que, cette stipulation n’ayant point été reconnue par les Valaques et n’ayant point été imprimée avec le règlement, le consul russe s’avisa d’en réclamer l’impression en 1837, en proposant de faire reconnaître la nécessité du même consentement en faveur de la cour protectrice ; mais la chambre valaque s’y opposa avec une telle persistance, que la Russie en fut réduite à solliciter de la Turquie aveuglée un firman, ordonnant l’impression de cette clause funeste à l’empire ottoman comme aux Valaques. C’était un acte de violence, une usurpation flagrante, une atteinte portée à toutes les anciennes capitulations des principautés avec la Porte, et jamais cette innovation dictée par la force n’a été envisagée autrement. Il était donc facile au gouvernement provisoire de Bucharest de montrer que la Russie donnait aux traités une fausse interprétation, et qu’elle n’avait, pour légitimer son intervention, d’autre autorité que celle d’un article oppressif introduit frauduleusement et brutalement dans une constitution déjà bien assez odieuse. Le gouvernement turc en convenait au fond du cœur, bien qu’il n’osât point l’avouer trop haut.

Suleyman-Pacha, chargé de présider diplomatiquement aux opérations de l’armée ottomane, en compagnie d’Émin-Effendi, s’annonça